Ledru à Austerlitz

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Ledru à Austerlitz

Messagepar MANÉ Diégo sur 22 Fév 2017, 16:34

Voici un message de Franck Fiat, du 18 janvier écoulé... mais comme vous le savez j'ai eu des problèmes personnels qui font que je ne réponds que maintenant. Voici tout d'abord le message :

Bonjour Diégo,
 
Je t’envoie en pj ces extraits de lettres de Ledru des Essarts que tu ne connais peut-être pas. À moins que Thierry Melchior ne te les ai déjà fait parvenir, c’est lui qui les a mis en lien sur le forum des jeux d’histoire (c’est donc lui César, sur ce coup).
 
Ils sont très intéressants, mais un peu bourrés de fautes puisqu’il doit s’agir d’un doc numérisé passé par un logiciel de reconnaissance des lettres. J’ai essayé de corriger le plus gros mais certaines choses ont dû m’échapper puisque je ne les ai encore que parcouru de très loin.
Il y a quelques annotations surlignées qui sont des notes personnelles.
 
Une chose me vient à l’esprit qui me pose question :

À Austerlitz, Ledru explique qu’après avoir pris deux positions à l’infanterie russe, il est menacé par de la cavalerie. Il dit alors passer ses trois bataillons « en colonne » et les cavaliers hésitent à l’attaquer puis détalent.

Comment lire ceci à ton avis ?

Je suppose que les Français doivent évoluer partie en ligne, partie en tirailleurs pour combattre sur les pentes du Pratzen. Mais je suis un peu surpris qu’ils passent en colonnes pour contrer la cavalerie. Pourquoi celle-ci hésite-t-elle ? Est-elle tellement défavorisée face à une colonne (dont les tirs doivent être relativement réduits ?) ? à moins qu’il ne s’agisse du terrain défavorable ?
 
À bientôt,
 
Franck

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Extrait du texte de Ledru :

"La Division du général Saint-Hilaire, dont je fais partie, formait tête de colonne et a commencé l'attaque. Tout ce qui s'est présenté devant elle a été culbutté (sic). J'étais sur la gauche avec mon régiment et le 2e bataillon du 43e, pour enlever une batterie de six pièces, deffendue (sic) par deux régiments Russes. Dans un instant, mon général de brigade et mes trois chefs de bataillon ont été mis hors de combat. Je n'en ai pas moins chassé les Russes et pris leur artillerie. L'ennemi, en fuyant, est allé se rallier à un corps d'armée d'environ 4000 hommes, occupant une hauteur avantageuse, avec huit pièces. J'ai marché sur lui sans hésiter, quoiqu'il fût deux fois plus nombreux que moi, en faisant faire des feux de bataillon. En avançant, j'ai emporté cette position aussi rapidement que la première. La plupart des canonniers ont été tués sur leurs pièces, et cette seconde artillerie est encore tombée au pouvoir de mon régiment ; mais ce deuxième avantage m'a coûté cher, puisqu'en moins de cinq minutes la mitraille et la mousqueterie m'ont fait perdre plus de 300 hommes. C'est là que mon cheval a été frappé. Je croyais qu'en arrivant sur la hauteur, ces Russes si terribles marcheraient sur moi avec la bayonnette ; mais ils gagnaient en désordre le village de Prazen (sic). Un feu roulant les abattait par centaines, et la terre était couverte de leurs morts. J'allais entrer dans le village et détruire entièrement cette colonne, lorsque les cuirassiers de la Garde Impériale de Russie, se sont montrés pour me charger. Je n'ai eu que le temps de me former en colonne ; ils se sont arrêtés, et quoique mes voltigeurs allassent à cinquante pas pour leur tuer du monde, ils n'ont osé m'attaquer. C'est alors que le Maréchal Soult est arrivé avec la division Vandamne. J'ai reçu de lui les compliments les plus flatteurs. J'ai ensuite rejoint le général Saint-Hilaire pour forcer l'ennemi dans Sokolnitz. Vers 4 heures, après avoir obligé les Russes à se rendre ou à se jeter dans le marais de Menitz, l'Empereur est passé près de moi, m'a appelé par mon nom, m'a dit en souriant qu'il savait comment je m'étais comporté, et m'a raconté familièrement les détails de la charge que sa Garde Impériale venait d'exécuter contre celle de Russie. Tu juges si je devais être satisfait."
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Re: Ledru à Austerlitz

Messagepar MANÉ Diégo sur 22 Fév 2017, 18:55

Salut Franck,

Tout d'abord j'ai voulu retrouver dans mes sources l'action décrite et là bernique, bien que j'y aie passé un long moment et trouvé à priori tout ce qu'il y avait à trouver dans deux sources majeures ; le Alombert et Colin sur 1805 pour le texte, et un ouvrage ("Zorndorf et Austerlitz", je crois) dont je n'ai pas retrouvé le texte (perdu dans le chaos actuel de mes sources) mais bien les cartes qui suffisent à suivre les unités sur le terrain.

Donc le texte de Colin mentionne plusieurs fois le 55e de Ligne du Colonel Ledru qui fait partie de la 3e brigade de la division Saint-Hilaire, celle de Varé qui sera effectivement blessé au cours de la bataille.

p 520. "Le 10e léger (formant la première brigade) n'était plus alors qu'à 700 ou 800 mètres du sommet. La brigade Thiébault (14e et 36e) suivait à 300 mètres de distance environ ; celle du général Varé (43e et 55e) était plus loin encore, et tenue en réserve..."

Le 10e léger sera arrêté sur la crête par l'ennemi, tandis que la brigade Thiébault se trouvera malgré ses ordres contraires entraînée à prendre d'assaut le village de Pratzen vers 9 h 30. Ensuite intervient dans le flanc des Français déjà engagés de face par les Autrichiens la brigade russe Kamenski, entraînant la crise dont Thiébault sortira vainqueur.

p 530. "La brigade Varé (43e et 55e) avait d'abord été tenue en réserve ; mais dès qu'elle vit le 10e léger prendre pied sur le plateau, cette brigade contourna le village de Pratzen et se jeta sur le flanc gauche des Russes, que Vandamme abordait de front au même instant. Le 55e continua de combattre en liaison avec les troupes de Vandamme ; le 43e revint, vers 10 h 30, unir ses efforts à ceux de Morand et Thiébault pour assurer à la division Saint-Hilaire la possession du plateau de Pratzen..."

On peut voir là la première position que Ledru dit avoir enlevée aux Russes... sauf que le rapport de Soult attribue l'action à la brigade Ferey...

p 532. "...10 h 30. Lorsque la brigade Ferey (de la division Vandamme), à laquelle s'était joint le 55e, reprit le mouvement en avant, elle rencontra une partie des troupes autrichiennes de Kollowrath ; le régiment de Salzbourg se trouvait, semble-t-il, sur le Stare Vinohrady. Le général Vandamme le fit attaquer par le 4e de ligne et le 24e léger... un régiment russe, ainsi que celui de Salzbourg, autrichien, furent presque détruits en entier ; la cavalerie ennemie même dût se sauver en désordre".

On peut voir là la deuxième position que Ledru dit avoir enlevée aux Russes... sauf que le rapport de Soult l'attribue encore à la brigade Ferey...

Quant'à la cavalerie qui n'ose pas attaquer les vainqueurs (tout-de-même sur les hauteurs), elle est autrichienne (et démoralisée) et pas russe, et ne peut en aucun cas relever de la Garde du Tsar qui sera certes engagée, mais plus tard (une fois le 55e parti à la droite) et à l'autre extrémité du dispositif.

Et en effet, p 542. "La cavalerie autrichienne était employée... aux abords du Stare Vinorahdy...

Plus loin est relaté l'engagement de la Garde à Pied russe contre les 4e de ligne et 24e léger. Son infanterie repoussée, essentiellement par l'artillerie française, le Grand Duc Constantin engage sa cavalerie, soutenue par 6 pièces à cheval. L'épisode est connu. Le 4e de ligne et le 24e léger sont culbutés, et seule l'intervention de la cavalerie de la Garde française les sauve de la destruction.

Le reste de la division Vandamme (et donc le 55e qui l'accompagnait) s'était entre-temps reporté contre la gauche des Russes à la suite de la division Saint-Hilaire et n'arriva donc en ligne que plus tard. En outre, donnant vis-à-vis de 50 canons russes déployés, elle fut tenue en respect une heure durant. Il n'est plus parlé particulièrement du 55e...

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Les cartes évoquées plus haut permettent de suivre les unités sur le terrain et, effectivement, on trouve le 55e engagé à droite de la division Vandamme... contre la brigade autrichienne Rottermund. L'action se passe entre Pratzen et le Stare Vinohrady, effectivement attaqué par la brigade Ferey.

Lorsque la Garde russe s'engage contre la gauche de Vandamme, son centre et sa droite (et le 55e avec) sont partis vers la droite tandis que le 1er corps est en route pour combler le vide relatif.

On retrouve ensuite le 55e engagé entre les 14e de ligne et 24e léger contre la gauche russe.

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Bref, il semble bien que les propos de Ledru relèvent davantage de l'auto-promotion que des circonstances réelles, et donc qu'il ne faille pas en tirer des conséquences sur la manière de combattre des unités, ni se retourner le cerveau à tenter de les expliquer d'après son texte.

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