La défense de Thorn en 1813
Amateur de batailles rangées, je n’aime pas les sièges et n’en parle qu’un minimum.
Je sacrifie donc à ce minimum pour le siège de Thorn en 1813, car il réunit certaines circonstances qui le rendent particulier.
On a beaucoup écrit sur les dizaines de milliers de soldats perdus par Napoléon car formant les garnisons de places qu’il ne parvint jamais à débloquer. Thorn, sur la Vistule, est l’une d’entre-elles.
Sa garnison, de l’ordre de 4.000 hommes, comptait, selon Langeron qui l’assiégea, 120 Polonais, 150 à 200 Français, et le reste formant la brigade bavaroise von Zoller*. Son gouverneur était le général de brigade Poitevin, Baron de Maureillan, issu du génie...
* Ainsi définie par Langeron : «... pour la plupart recrues, peu déterminées à se battre, et fort affligés d’être renfermés dans Thorn et de servir la France.»
On voit que le ver était déjà dans le fruit !
Deuxième particularité, c’est la 3e armée russe qui fait le siège. Un grand mot pour 12.000 hommes, mais ces 12.000 hommes, arrivés sous Tchitchagov, passent rapidement aux ordres de Barclay de Tolly... or la présence de ce dernier à Bautzen fut d’une importance capitale, puisqu’elle fut une des raisons qui empêchèrent que la victoire française soit décisive !
Et j’en ai parlé lors de la mel de l'Ordre de Bataille détaillé de cette armée sur Planète Napoléon, ici :
viewtopic.php?f=1&t=851
J’y regrettais que le siège n’ait pas duré une semaine de plus, changeant la face des choses !
On a vu le peu de motivation du gros de la garnison. Il faut y ajouter sa complaisance avec l’ennemi.
Quelques anecdotes :
Tous les jours Langeron en personne venait causer avec l’officier bavarois de service à la poterne principale, et lui remettait les différentes gazettes allemandes, remplies des désastres français...
Maureillan s’en étant aperçu interdit ces «échanges», et dès lors les gazettes étaient déposées au creux d’un arbre mort pour être relevées de nuit, jusqu’à ce que le gouverneur fasse couper l’arbre ! Mais d’autres moyens furent trouvés, vous pensez bien !
Des officiers prussiens du génie venaient s’établir au pied des murailles, comme un peintre au bord de l'eau, pour en lever les croquis sous le regard goguenard des sentinelles bavaroises qui les avertissaient de déguerpir à l’approche d’un éventuel trouble-fête français...
Les mêmes sentinelles au rempart principal laissèrent sans piper mot une nuit entière les Prusso-Russes installer leur première parallèle à portée de la place... etc...
Après l'allié intérieur, l'allié extérieur : sans la participation effective en matériel, munitions et hommes, de la garnison prussienne de Graudenz, officiellement alliée de la France au début de ces mouvements, le siège n’aurait jamais pu être mené. Se muant dès lors en simple blocus, et la place s’étant ménagée un an de vivres, les troupes de Barclay n’auraient jamais pu figurer à Bautzen.
Investie fin janvier 1813, Thorn capitula le 18 avril, étant à court de munitions d’artillerie... mais ignorant que l’adversaire, étant dans le même cas après la débauche de feu destinée à forcer la décision, allait se trouver réduit à lever le siège, et se limiter à un blocus...
Comme quoi !
La garnison dépose ses armes, mais les hommes sont libres de retourner chez eux (soit en Pologne pour les Polonais) sous la promesse de «ne point servir contre la Russie ni contre ses alliés pendant cette campagne», soit, comme précisé ultérieurement, jusqu'au 1er janvier 1814...
Ce qui fut un marché de dupes supplémentaire, comme le prouve dès le jour-même de la capitulation le mot glissé au passage à l’oreille de Langeron par von Zoller défilant en tête de ses troupes :
«Au revoir, mon général, dans trois mois nous nous retrouverons ensemble contre ces coquins-là», et de montrer du regard les Français qui précédaient ses Bavarois !
On n’est pas plus clair !
Il paraît que Napoléon goûta peu la capitulation de Thorn, et que le général Poitevin de Maureillan s’en trouva comme disgracié...
Pas longtemps toutefois puisque, guère plus d’un an après sa reddition, les Bourbons le feront Lieutenant-Général et Chevalier de Saint-Louis, en attendant, pas trop longtemps non plus, quantité d’autres honneurs et le titre de vicomte.
Voilà des gens qui au moins savaient récompenser les mérites militaires.
Diégo Mané