Bien que cela ne soit qu’un élément de jugement partiel, je trouve intéressant de vous communiquer les chiffres que l’on peut tirer du Conseil de Révision de la Creuse, tenu le 1er Juin 1807, soit encore à la «belle époque», celle des victoires.
351 Conscrits sont examinés.
71 sont reconnus «bons pour le service».
27 absents représentés sont considérés bons jusqu’à vérification.
16 sont réfractaires (et donc considérés «bons par contumace»... et «gibiers de gendarmes»).
44 sont réformés pour des motifs divers (maladie, infirmité...) les rendant impropres au service.
193 sont réformés pour insuffisance de taille, dont 2 que l’on n’a même pas mesurés car cela devait probablement sauter aux yeux.
Et pourtant la taille limite de réforme de 1,598 m en vigueur sous le Consulat fut abaissée à 1,544 m au début de l’Empire (29/12/1804) !
C’est l’instant de se pencher sur l’intéressante question de la taille de ces soldats.
Parmi les 308 présents au Conseil de Révision 288 furent mesurés.
Des 193 réformés car trop petits (environ 2/3 !) nous trouvons :
68 hommes de moins de 1,50 m.
59 hommes de moins de 1,53 m (et plus de 1,50 m).
66 hommes de moins de 1,544 m, la taille limite (et plus de 1,53 m).
Ce détail par catégorie de taille des réformés doit répondre à une demande du ministère, sans doute pour envisager l’impact de nouvelles diminutions de la taille limite d’incorporation.
Les 97 présents ayant une taille suffisante se répartissent en :
50 hommes de moins de 1,60 m (et plus de 1,543 m... c’est précis, et on imagine bien le regret de ceux qui sont partis pour "un effet de seuil").
33 hommes de moins de 1,65 m (et plus de 1,60 m).
12 hommes de moins de 1,70 m (et plus de 1,65 m).
2 hommes de plus de 1,70 m).
Mais comme au final seuls 71 seront reconnus «bons pour le service», il faut en déduire que 26 de ceux ayant la bonne taille faisaient partie des 44 réformés pour autres motifs.
Quoi qu’il en soit, force est de constater que sur les 308 Conscrits présents au Conseil de Révision, 71 étant «pris», reste un «déchet» de 237 = 77 % !
On peut en inférer que (au moins parmi les Conscrits de 1807 dans la Creuse) la taille moyenne du soldat était de environ 1,60 m...
A comparer à celle du fusil, soit 1,92 m avec sa baïonnette de 40 cm, qui dépassait donc de la tête de l’homme d’environ 80 cm lorsque l’arme était portée crosse reposant dans la main gauche pour la marche d’assaut.
Bien sûr le shako* et son pompon, voire son plumet, compensaient un peu cet écart, ne laissant, dans le dernier cas, dépasser que les 40 cm de la baïonnette, dont les froids reflets métalliques jouaient leur effet moral sur l'ennemi !
Diégo Mané
* Le shako modèle 1806 faisait 180 mm de haut par 230 de diamètre haut.
* Le shako modèle 1810 faisait 189 mm (puis 190) de haut par 244 de diamètre haut, peut-être une manière de compenser la baisse de taille des conscrits sélectionnés ?
* Le shako de Grenadiers modèle 1812 (qui remplaçait les bonnets à poils) monte même à 205 mm de haut et 270 mm de diamètre haut.
C’est aussi l’endroit de souligner que nos ancêtres, en moyenne bien plus petits de taille** que nous deux siècles plus tard, avaient aussi les têtes plus petites que les nôtres, comme le suggèrent la plupart des coiffures conservées, shakos, qui certes ont pu rétrécir comme nous disent certains, mais aussi casques métalliques qui, eux, n’ont certes pas bougé d’un mm !
** Le département de la Creuse, avec 2/3 de réformés pour défaut de taille est un exemple extrême. Le département de Maine-et-Loire présente en 1807 un taux bien plus faible de 20,52 % de réformés pour ce même motif.
La taille moyenne de ses conscrits était de 1,612 m réformés compris, soit tout-à-fait «normale» et représentative de la moyenne nationale au début du XIXe siècle, alors que la Creuse n’obtient un chiffre identique que pour ses seuls sélectionnés. On était donc alors bien plus petit dans la Creuse !
Sources :
Pour la Creuse :
article n° 48, page 98 de «Textes historiques, l’époque de Napoléon 1799-1815», par Chaulanges, Manry et Sève, Librairie Delagrave, paris, 1960.
Pour le Maine-et-Loire :
une étude très complète de Jean-Pierre Bois, intitulée «Anthropologie du conscrit angevin sous l’Empire» est visible ici :
http://www.persee.fr/web/revues/home/pr ... _84_1_2878