Je re-dépose ici une série de messages du post "Lectures (terrestres) du confinement", dont le titre occulte, bien évidemment, ceux des différents sujets traités, les laissant hors du champ d'investigation des moteurs de recherches.
L'un de ces sujets méritait un post à lui tout seul et je corrige cette injustice en le créant ci-après, en même temps qu'un autre, connexe, intitulé "Les (vrais) duellistes : Fournier et Dupont", dont voici le lien : viewtopic.php?f=1&t=2279
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Compilation des messages de Diégo MANÉ sur Planète Napoléon, après sa lecture en 2020 de l'ouvrage de Marcel Dupont, «Fournier-Sarlovèze, le plus mauvais sujet de l’armée», Paris, réédition de 2002, dont j’ai conservé, en guise de Fil d'Ariane, les titres des différents chapitres.
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Qui ne connaît pas, au moins de nom, le général François Fournier, qui n’ajoutera Sarlovèze -qui signifie «de Sarlat- à son nom que sous la deuxième Restauration, en lieu et place du titre de Comte de Lugo que voulait lui octroyer le roi Louis XVIII.
Assurément aucun amateur des guerres de l’Empire et des chevauchées héroïques qui ont nourri l’Épopée. Moi-même j’ai sa figurine parmi mes généraux de hussards.
Et pourtant l’individu passa plus de temps en frasques ou en disgrâces qu’au combat. Mais ses faits d’armes relèvent tant de l’exceptionnel que l’on ne voit qu’eux. D’ailleurs le reste est sans intérêt pour l’Histoire, c’est juste pitoyable… Bien que parfois très « original ».
Je savais, bien sûr, qu’entre deux campagnes notre homme menait une vie dissolue, mais n’est-ce pas le propre de tout hussard ? Eh bien à ce point-là assurément non. À l’analyse le bonhomme fut odieux, exécrable même, en un mot méprisable, mais suivons le donc.
Le petit clerc
Il est né à Sarlat le 6 septembre 1773. Son père tenait un cabaret, et l’enfant y passa sa prime enfance, peut-être l’explication de son penchant ultérieur pour les jeux de cartes ?
Il était l’aîné d’une fratrie de sept enfants. Très vite François Fournier fait montre d’une « intelligence presque inquiétante pour son âge, d’un esprit malicieux, emporté, volontaire, parfois méchant envers ses petits frères, puis débordant pour eux d’une tendresse passionnée, il était déjà tout en contrastes, mais donnait surtout l’impression d’un caractère dominateur, impatient du moindre lien. »
J’ai repris in extenso cette première définition du caractère de l’individu car elle résume la suite. Sans être versé en la matière, ce que j’ai lu du personnage plaide pour un dédoublement de la personnalité, tantôt « ange », dont il a la beauté physique et la séduction, et tantôt « démon », dont il à la noirceur d’esprit et la méchanceté. Tout ce que construit l’ange, le démon le détruit aussitôt après.
À l’école, d’un côté il impose sa tyrannie à ses camarades, par sa force et sa violence, et d’un autre côté il stupéfie les enseignants par ses facultés exceptionnelles. Il est envoyé par eux chez les moines de Gourdon pour parfaire son éducation. En peu de temps le jeune prodige maîtrise le Français et la poésie, le Grec et le Latin, sans préjudice de la musique, et de la chanson religieuse qu’il interprète avec une voix magnifique. C’est pourtant le même qui, hors du cloître, provoque force bagarres, injustes, qu’il gagne toujours car il est le plus fort.
Ayant atteint les sommets de la connaissance il lui faut désormais trouver un emploi et, par relations, il obtient un poste de clerc du procureur à Sarlat, maîtrisant très rapidement là aussi, les arcanes juridiques. Bientôt il se fait passer pour son patron et encaisse des honoraires prohibitifs à sa place. Le travail fourni est sans reproche, mais le comportement ne l’est pas. Surpris sans s’en émouvoir le moins du monde, il s’entend dire : « Mon ami, quand on a autant d’esprit et si peu de coeur, on finit au bout d’une corde », et cela faillit bien arriver car ce fut mérité plusieurs fois !
Fournier cherche sa voie
Arrive la Révolution et ses opportunités. François Fournier s’inscrit à la Garde nationale de Sarlat. Très vite il se rend insupportable à tout le monde et son procureur l’envoie chez un collègue de Paris début 1791. Mais sur la route le jeune homme rencontre un régiment de chasseurs à cheval. C’est une révélation, et il signe incontinent son engagement. Le beau cavalier apprend vite son métier et fait l’admiration de ses chefs. Il est nommé par le directoire de son département pour la Garde personnelle, dite constitutionnelle, de Louis XVI, mais n’y reste pas longtemps, s’étant aperçu que c’était une « fausse voie » pour lui.
En effet, spectateur assidu des réunions orageuses des clubs des Cordeliers et des Jacobins il a vite compris que l’avenir de la royauté était au moins compromis. Il fait le siège d’un pays tenant un poste au Ministère de la Guerre, se plaignant de ses chefs, critiquant ses camarades « Gardes de Capet », tous prêts à étouffer dans le sang du peuple le grand souffle de liberté de la Nation, etc... Un vrai sans-culotte tel que lui ne le supporte plus... Et son ami lui obtient un brevet de sous-lieutenant au 9e régiment de dragons. Belle promotion après un an de services, non ? Le patriotisme mène à tout.
Un lieutenant sans-culotte
Un bref passage à son régiment le convainc rapidement d’aller chercher ailleurs en intrigant un avancement qu’il n’obtiendra pas là en se battant. Se prétendant malade il part « se soigner » à Lyon, y faisant bombance et courant les filles entre deux réunions aux clubs jacobins. Il s’y lie avec le sinistre Chalier, futur assassin patenté gouvernemental.
Un ricochet par son régiment, avant d’en repartir, derechef « malade », pour cette fois Grenoble, il se jette dans la débauche, sexe et jeu l’occupent, et le criblent de dettes dont il se soucie peu. Les plaintes contre lui s’accumulent chez son colonel qui le rappelle à Chambéry... Mais il retourne à Lyon, accueilli à bras ouverts par Chalier, et recommence sa vie de patache. Un créancier plus résolu que les autres le convainc d’enfin entendre l’appel de la patrie en danger. Il abandonne ses maîtresses éplorées et rejoint le 9e.
Il est aussitôt mis aux arrêts par le colonel Beaumont qui adresse un rapport au général Vaubois, inspecteur du régiment. Mais ce dernier se trouve à Lyon où les nombreux amis de Fournier sont devenus les maîtres... Et le général, ne voulant pas les mécontenter, se limite à sanctionner le contrevenant de huit jours d’arrêt, à la stupeur de ses collègues... Tandis que dans la foulée le « coupable » est nommé lieutenant, et ne rêve que de « faire payer » à tous le mépris qu’il leur inspire. Cela tombe bien car le régiment est envoyé à Lyon. Plus souvent à la tribune des clubs qu’à l’exercice, Fournier en profite, avec son réel talent d’orateur, un de plus, pour dénoncer les officiers du 9e comme ennemis du peuple.
Son colonel tente de l’éloigner un temps en lui confiant un détachement chargé de patrouiller du côté de Montbrison. Mauvaise idée. Fournier en profite pour inaugurer un système qui fera plus tard sa fortune en Espagne. Il fausse les états de subsistances et se fait délivrer plusieurs étapes pour une par chaque municipalité en terrorisant les édiles.
Mais, coup de maître, il fait profiter sa troupe de ses méfaits. Les soldats qui ne l’aimaient pas adorent désormais ce vrai sans-culotte qui leur permet de faire bombance tous les jours. Certes les municipalités portent plainte et le conseil d’administration du régiment décide de faire rendre-gorge au coupable et aux soldats de son détachement...
Fournier recourt au tribunal criminel de Lyon, dirigé par Chalier, et les administrateurs décident que les sommes indûment perçues seront, en bonne justice révolutionnaire, « remboursées » par les aristocrates des municipalités pillées. Mais Fournier veut « la tête » de son colonel et intrigue auprès de la troupe, lui offrant force repas, qu’il ne payera jamais. Une fois bien pris de boisson il fait signer à ceux qu’il a séduits un engagement secret dans une « Compagnie de Brutus » qui, le moment venu, s’en prendra à l’état-major.
Mais la guerre s’invite et le 9e dragons doit partir au combat... Sauf un escadron, celui de Fournier, qui reste à Lyon pour tenir en respect les Royalistes comme les Girondins.
La clique de Chalier veut faire tomber trois-cents têtes de notables de la ville, en outre frappée d’une contribution de six millions à payer par « les riches » sous vingt-quatre heures, tandis que les prisons sont pleines de « suspects » en sursis de guillotine, que l’on parle de massacrer. Le 29 mai 1793, c’est l’insurrection, dirigée par les Girondins. C'est donc à Lyon que Fournier va accomplir sa première action de guerre... civile, car contre des Français ! Les sections girondines ont le dessus et les Jacobins ont recours à la ruse pour s’en sortir. Le peloton de Fournier avance au pas, déployé, l’officier en tête et flanqué d’un trompette, comme pour parlementer. L’artillerie girondine cesse le feu et les chefs se portent en avant...
Parvenu à vingt pas de l’état-major « ennemi » Fournier fait rompre ses dragons qui démasquent trois pièces chargées à mitraille, lesquelles ouvrent le feu immédiatement.
Plus de cent cinquante sectionnaires, dont tous leurs chefs, sont abattus, et leurs canons démontés. La colonne girondine des quais du Rhône est repoussée. En revanche pas de Fournier rusé sur les quais de Saône et là les Girondins l’emportent. À minuit l’hôtel de ville tombe, Lyon est aux insurgés. La nuit-même Chalier et sa clique sont arrêtés. Le lendemain c’est le tour de Fournier. Pas un seul de ses dragons n’a levé le doigt pour lui.
Chalier sera jugé, condamné et exécuté. Curieusement Fournier est seulement mis en prison comme « suspect » (ils n’avaient pas du bien le regarder, ou ceux qui l’avaient bien vu en étaient morts !). Il parviendra à s’évader de la ville rebelle et rejoindre les lignes des troupes de la République qui le porteront en triomphe comme un héros-martyr. Envoyé à Paris par le représentant Dubois-Crancé, et nanti de ses chaudes recommandations, le « sans-culotte patriote » (redondance voulue) y est promu Chef d’Escadron au 16e chasseurs, sans jamais avoir été capitaine. Il venait juste d’avoir vingt ans !
Réséda Fournier
Fournier a décidé de répudier son prénom de François, « porté avant lui par trop de saints », et de s’appeler désormais Réséda Fournier, pour faire plus républicain. Son nouveau régiment est dirigé par un vrai « Montagnard », le chef de brigade (colonel) Bertèche. Néanmoins Fournier s’entend avec Audoin, au ministère de la guerre, pour « espionner », il n’y a pas d’autre mot, l’officialité du 16e chasseurs, notant tous les comportements de « tièdeur » patriotique. Comme Bertèche est froid avec lui et ne lui confie aucun commandement, Fournier commence à intriguer contre son nouveau chef. N’ayant aucune preuve il se contente d’abord d’insinuer ? Peut-être Bertèche est-il parvenu à tromper la vigilance des vrais sans-culottes ? Quoi qu’il en soit c’est lui qui enjoint Fournier de s’expliquer sur le fait d’avoir été « Garde du corps de Capet » et c’est à l’impétrant de (tenter de) se justifier du moins mal qu’il peut, restant suspect pour son chef.
En juin 1794 le 16e chasseurs est passé à l’Armée de Sambre-et-Meuse. Entre-temps la zizanie semée par Fournier a fait son office. Tous dénoncés tour à tour, les officiers se méfient les uns des autres. Ceux ayant compris d’où venaient ces coups de poignard dans le dos provoquèrent Fournier en duel. Mais le procédé fut vite abandonné car dans ce domaine aussi notre chasseur était un maître. N’ayant jamais fait la guerre il avait cependant acquis une dextérité incroyable au sabre comme au pistolet, mouchant une chandelle à vingt pas ! Il usait et abusait de ce nouveau talent, provoquant délibérément quiconque le contrariait, ou pas d’ailleurs, y compris des civils sans expérience des armes et qu’il envoyait ad patres sans le moindre remords au gré de ces assassinats de plaisir.
Il trouva parfois, fut-ce rarement, à qui parler. Ainsi un capitaine Dupont lui résistera et Fournier imagine et rédige un acte sous seings privés stipulant que chaque fois que les deux officiers se trouveront à trente lieues l’un de l’autre ils feront chacun la moitié du chemin pour se rencontrer à l’épée. Le pacte sera respecté jusqu’en 1813, aucun des deux ne parvenant à tuer l’autre malgré de nombreuses blessures reçues tous deux.
Ces circonstances ont inspiré le cinéaste Ridley Scot pour son joli film «Duellistes», assez fidèle, sauf que dans la réalité « le méchant » (Fournier) était très beau et distingué alors que dans le film le personnage de Gabriel Féraud est un véritable soudard mal dégrossi.
Revenant à notre fil, plus personne n’ose contrarier Fournier. Mais il en est un qui le contrarie quand même par sa présence, Bertèche. Ce dernier le sent et accuse son subordonné de vol. Vrai ou faux on ne sait, mais Fournier court exiger avec violence des explications à son chef qui le gifle, s’attirant en riposte des coups de plat sabre ! Un duel est inévitable. Les deux hommes sortent pour trouver un endroit propice, mais sur le chemin se trouve un poste de police. Bertèche y entre et fait arrêter Fournier manu militari par les gendarmes qui le jettent en prison. On est tenté d’ajouter « bien fait pour lui » !
Ajoutons que Bertèche n’était pas un lâche, mais, ayant reçu quarante-deux coups de sabre au combat, il se souciait peu d’en ajouter un de plus... qui aurait peut-être été de trop !
Anarchiste à Sarlat
Et pour Fournier ce n’était pas fini dans le registre. Difficilement tiré de prison par ses puissants appuis il est éloigné en remonte en Normandie. Survient le 9 Thermidor. La fin de la terreur délie les langues et les accusations pleuvent sur Fournier. Accusations mensongères, absence illégale (comme d’habitude), dilapidation à son profit de l’argent à lui confié pour acheter des chevaux (pour une fois l’enquête le blanchira de ce dol, cela méritait d’être souligné), etc... Mais, la France ayant changé de maîtres, c’est un autre qui ouvre les cartons d’Audoin, y trouvant toutes les dénonciations de Fournier... Derechef arrêté, il sera destitué le 24 novembre 1794, n’étant relâché que le 19 mars suivant. C’est le retour à Sarlat, en civil, après quatre ans de « vie militaire » dont cinq mois de prison !
Lors de son passage à Paris il avait cependant fait jouer ses appuis en vue de sa réintégration, qui sera obtenue six mois plus tard, mais sans affectation, ses « agissements » à Sarlat étant jugés « trouble s» par les nouveaux maîtres de la France. Pour eux toute opposition se pare désormais du vocable d’anarchistes, et Fournier a pris la tête de ceux de sa ville, dont il mène des bandes violentes qui menacent et molestent les habitants. Le 21 mars 1797, après des élections locales dont le résultat ne lui convient pas, Fournier déclenche un pugilat général occasionnant un grand désordre et des blessés dont le chef de la garde mobile. Chassé par la troupe il « prend le maquis » et rôde aux environs à la tête d’un « fort groupement armé ».
Cité à comparaître il parvient, grâce à ses compétences juridiques, à faite casser la décision municipale par le département, et Sarlat continue à vivre dans la terreur de son retour. Il crée en effet des « rassemblements terroristes » dans toutes les communes avoisinantes et les arme, prévenant qu’il reviendra venger les patriotes. En attendant il arrête et rudoie tous les Sarladais qui prennent le risque de quitter la ville, et exporte son « idéologie » jusqu’à Périgueux, bastonnant dans la rue, et provoquant une émeute sous les fenêtres du général Chalbos, gouverneur militaire de la ville. Une douzaine de ses courageux affidés finit même par assassiner à coups de sabre un notable de Sarlat.
On en rend bien sûr Fournier responsable, et il décide de se faire un temps oublier, d’autant que ses amis de Paris l’y appellent, disant la situation favorable pour qui est dénué de scrupules. Les Directeurs jacobins sont en effet en butte à la réaction et préparent un coup de force. Ils rameutent tous les mécontents et Fournier est du lot.
Ses qualités apparentes comme réelles masquent ses défauts et il parvient à se faire prendre comme aide de camp par Augereau, le commandant militaire de Paris nommé par Barras, pour mener le coup d’état du 18 Fructidor. Sa réussite est aussi celle de Fournier.
Colonel à Strasbourg
Il peut à nouveau briller en société. Comprendre écumer les tripots, où il joue gros jeu et gagne trop souvent pour être honnête, ce qui déclenche bien des bagarres. Entre deux assauts du genre il mène ceux de la gent féminine qui succombe souvent à son charme irrésistible. Redisons-le, il est beau, jeune, fort, impeccablement habillé, distingué, plein d’esprit et maniant bien le compliment... et les armes, ce qui fait que les maris ou amants s’avisant de protester finissent mal sur le pré. Mais bon (ou mal), tout à une fin. Barras n’ayant plus besoin d’Augereau, il l’éloigne après Fructidor comme il éloigna Bonaparte après Vendémiaire, en lui donnant le commandement d’une armée loin de Paris...
Et l’aide de camp Fournier doit suivre son chef à Strasbourg, quartier général de l’Armée d’Allemagne. À peine en poste, Augereau use de sa prérogative de général en chef pour nommer son protégé Chef de brigade (colonel). Sautant là-aussi un grade à l’occasion de cette promotion, Fournier est chargé d’organiser le « Régiment des guides de l’Armée d’Allemagne » dont il aura le commandement, en même temps que la « présidence » du conseil de guerre de l’armée, qui réunit celles de Sambre-et-Meuse et de Rhin-et-Moselle, tache considérable bien au-dessus des compétences de son chef... Mais pas des siennes.
Il y réussira donc, trouvant en outre le temps de venir ripailler et jouer à Paris le 15 janvier 1798 dans un établissement « chic ». Il s’y trouve en compagnie de ci-devants de retour jouant gros jeu que le « patriote » n’hésite pas à côtoyer dans la débauche. Entrent alors une trentaine de sicaires à la mine patibulaire, sabre au côté et gourdin au poing, qui entreprennent de troubler la fête. Cela finit bien sûr en pugilat général où les ci-devants poudrés ont vite le dessous. Mais Fournier fait cause commune avec ses ennemis politiques mais partenaires de jeu. Mettant le sabre au poing, il « décourage » tous ceux qui veulent lui barrer la route qu’il fraie à ses « amis » vers la sortie, malgré quatre coups de taille qui l’ont atteint. Quarante blessés sont les résultats de « l’opération de nettoyage » qui, malheureusement pour Fournier, avait été ordonnée par Barras contre les ci-devants.
Évidemment, la présence parmi les Royalistes, et malgré « son patriotisme éprouvé », de « cet officier connu pour sa fatale adresse dans les combats singuliers » ne laisse pas d’interpeller. Une enquête est menée qui conclut que Fournier, étant attaqué, n’a fait que se défendre « sans se ranger ouvertement du côté des « pseudo-marquis ». Commode !
Fournier peut rejoindre son poste.
Premiers heurts avec Bonaparte
Mais la médiocrité d’Augereau ne permet pas de lui conserver le commandement de la principale armée de la République... Qui l’envoie plus loin encore, commander la division des Pyrénées-Orientales, tandis que Fournier, peut-être desservi par sa récente altercation, est mis « à la suite » du 8e de hussards à Marseille.
Mis à la tête du conseil de guerre de la cité phocéenne il s’acquitte si bien de la fonction que son chef l’encense dans ses rapports et souhaite le garder... Ce qui ne fait pas l’affaire de Fournier qui s’est mis en tête d’obtenir celle d’un régiment et part pour Paris.
S’étant renseigné sur les régiments sans chef désigné il porte son dévolu sur le 12e de hussards, fort maltraité lors de la malheureuse expédition d’Irlande et dont personne ne veut. Il essuie pourtant un refus de la part du Ministre de la Guerre qui s’appuie sur son manque total d’expérience d’un tel commandement. Mais ce que Fournier veut, il l’obtient. Le moyen employé est cocasse et mérite d’être conté. Notre homme se fait confectionner un superbe uniforme de colonel du 12e hussards, qu’il porte magnifiquement bien, et, ainsi vêtu, accompagné de son formidable culot, se présente au régiment, à Compiègne.
Les officiers du régiment, qui est entrain de manoeuvrer, se pressent autour de ce colonel qui leur arrive de Paris sans prévenir. Ce dernier choisit le plus beau cheval qu’il trouve dans les écuries, le fait équiper puis le monte, et rejoint la troupe qui s’arrête à son aspect.
« À mon commandement ! » hurle de sa belle voix le beau colonel, et la manœuvre, un instant interrompue, reprend. Toutes les évolutions du règlement sont parfaitement ordonnées et totalement maîtrisées par ce nouveau colonel qui enchante la troupe et ses chefs. De retour au quartier Fournier rassemble « ses » officiers et leur tient ce discours :
« Je ne suis pas votre colonel, mais je vais l’être. J’ai posé ma candidature devant le ministre ; si vous me jugez digne de vous commander, dites-le lui, cela emportera sa décision ». Et c’est chose faite le 22 mai 1799 ! Incroyable, non ? Mais vrai !
Jusque-là davantage guerrier que militaire, Fournier va s’attacher aux détails qui transforment un régiment médiocre en unité d’élite. Entre-temps, qui file fort vite à l’époque, Bonaparte s’est emparé du pouvoir, nettoyant « les écuries d’Augias » du Directoire. La fin de tout ce qui avait fait son passé « politique » n’est pas pour plaire à Fournier qui, sans le connaître, en veut au nouveau Consul de la République. C’est malgré tout sous ses ordres qu’il aura enfin l’occasion de prouver ses exceptionnelles qualités d’officier de cavalerie légère lors de l’immortelle campagne de Marengo !
Affecté à l’Armée de Réserve, le 12e de Hussards y arrive, fort de 596 hommes en quatre escadrons. Il est brigadé avec le 21e de Chasseurs à cheval sous le GB Rivaud, formant la cavalerie de l’avant-garde commandée par Lannes, forte de 7000 fantassins, 1200 cavaliers et 18 pièces. Par suite d’ordres mal transmis la cavalerie ne part pas à temps, sauf un escadron sous Fournier parti en avant, et qui de ce fait « fera » tout le service !
Le col du saint-Bernard franchi dans les conditions que l’on sait, l’avant-garde surprend les postes autrichiens, ne se heurtant à une résistance sérieuse qu’à Châtillon le 17 mai.
Lannes mène les grenadiers de la 22e légère à l’attaque. Les 1000 fantassins ennemis ne l’attendent pas et se replient. Fournier saisit l’instant et se jette sur eux pêle-mêle dans le village, transformant leur retraite en déroute, sabrant l’infanterie et s’emparant de trois canons avec leurs caissons et de trois-cents prisonniers. Ah ! que voilà un bon début, que confirme le rapport de Berthier qui parle du « ... chef de brigade (colonel) Fournier dont la rare intrépidité mérite les plus grands éloges ».
Puis c’est le combat sur la Chiusella, plus difficile car le « morceau à avaler » est plus gros.
6000 fantassins et 4000 cavaliers. La 6e légère enlève le pont, repris par l’ennemi, repris encore par les Français. L’infanterie autrichienne flotte, mais sa cavalerie charge la nôtre encore dans le désordre de sa victoire, quand la brigade Rivaud vient la dégager et met l’ennemi en fuite. Fournier s’est particulièrement distingué à la tête de ses hussards, et Lannes, un connaisseur, en fait un éloge appuyé au Premier Consul qui vient d’arriver.
Ce premier (oui, « ce dernier » ne me semblait pas à propos pour lui) décide incontinent de passer l’avant-garde, encore haletante du combat, en revue « de détail ». Fournier a toutes les réponses du même métal, ce qui plaît au Maître qui s’adresse au colonel devant son régiment : « Grâce à votre bravoure, grâce à la façon dont vous avez conduit votre régiment, le premier combat de la campagne a été une victoire, je ne l’oublierai pas ! »
La voie royale, que dis-je royale, impériale même, s’ouvrait alors devant Fournier, qui ne pourra s’empêcher, à défaut de la voie, d’ouvrir sa grande g..... le soir même, flanquant tout par terre, à l’occasion d’une réception qu’offre Bonaparte aux chefs de l’avant-garde.
Le Premier Consul expose avec bonhomie ses vues sur la grandeur de Rome devant l’auditoire d’officiers qui, le verre de punch à la main, l’écoute, presque religieusement, quand soudain, cassante, la voix de Fournier vient couper le discours du Maître : « Le peuple romain a dû sa grandeur à la République. Sa décadence date de l’établissement de l’Empire... ». Un rien prémonitoire, n’est-ce pas, et relativement juste quand on connaît la suite comme la fin de l’Histoire, mais le futur empereur ne goûte pas l’intervention du jeune colonel, et on le comprendrait à moins : « Taisez-vous ! À vous entendre, chef de brigade Fournier, on vous croirait encore sur les bancs de l’école. » Finement jugé aussi, mais du coup la fête et finie et Bonaparte congédie ses invités, mais une chose est sûre, comme il l’a promis le matin même de ce 28 mai 1800, il n’oubliera pas Fournier... Sauf dans les bulletins de victoire !
Un splendide sabreur
Le 9 juin 1800 s’ouvre un jour de gloire pour Lannes à Montebello. Le général n’a pu faire passer le Pô qu’à 4000 fantassins, 200 hussards et 4 canons, lorsqu’il se heurte aux 13000 fantassins, 1200 cavaliers et 40 pièces de l’Autrichien Ott, en outre sur une excellente position défensive. Un autre que Lannes aurait peut-être hésité, encourageant l’ennemi à l’attaquer du (bien plus) fort au (bien plus) faible, consommant une dès lors inévitable défaite rivière à dos. Mais Lannes attaque la journée durant, bien aidé par les hussards menés par Fournier.
« ... il est partout... où les cavaliers ennemis menacent... Toujours en tête, magnifique et terrifiant... démon dans la mêlée... impassible quand le repli est inévitable... La haute taille du chef de brigade à pelisse marron s’élève comme un drapeau au-dessus des hourvaris de la bataille... secours inespéré... frappant juste et fort au point voulu, là où il peut encore arrêter le désastre... » qui se mue en victoire le soir avec l’arrivée de Victor marchant en bon camarade au canon de Lannes, qui ne l’oubliera pas et lui obtiendra le bâton de maréchal en 1807.
Fournier a perdu le tiers de ses hussards mais, pour ce qui a dépendu de lui, sauvé la journée. Berthier écrit que « le 12e hussards a fait des prodiges » et Bonaparte renchérit : « le 12e hussards s’est couvert de gloire ». Il n’est plus question de Fournier nulle part !
Au lieu des étoiles qu’un autre aurait probablement obtenues, il n’y a rien et, serait-on encore tentés de dire, c’était bien fait pour lui. Six jours plus tard c’est Marengo. Rivaud couvre la droite française, alors que l’effort des Autrichiens pèse sur la gauche qui recule.
Ce n’est qu’au soir, avec l’arrivée de la division amenée par Desaix, que les choses vont changer. Le 12e hussards en tête, la brigade s’avance contre les Autrichiens de Ott. Sans ordres particuliers, Fournier calque son attitude sur celle de la cavalerie de la Garde consulaire menée par le chef de brigade Bessières. Lorsqu’il le voit prêt à s’engager il fait sonner la charge, et les six escadrons français donnent avec un si bel ensemble sur les douze escadrons autrichiens qu’ils les mettent en fuite, les jettent sur leur infanterie, et les poursuivent à outrance jusque dans un ravin où le 21e de chasseurs vient les « finir ».
Les deux-tiers de ce succès sont dus au 12e hussards et au coup d’oeil de son chef, mais toute la gloire du bulletin de Bonaparte est octroyée à Bessières et à la Garde consulaire.
Soulignons quand même qu’un autre cavalier tout aussi méritant est quelque peu négligé dans la distribution de compliments, c’est Kellermann, auteur d’une « assez bonne charge », alors que c’est littéralement elle qui emporta la décision et pas le brave Desaix.
Kellermann sera toutefois nommé général de division après la campagne, mais pour Fournier point d’étoiles, seulement un sabre et des pistolets d’honneur, « pour la bravoure qu’il a montrée dans les différentes affaires où il s’est trouvé » car brave oui, fidèle non !
À suivre...