ARMÉES AUTRICHIENNES ET FRANÇAISES (1805-1809-1814)
Je retrouve parmi mes inédits égarés dans un disque dur un texte ayant servi de base à mon intervention lors du " Colloque Lyon 1814 ", organisé par Ronald Zins au Musée Gadagne*. Comme il présente plusieurs points souvent ignorés je pense à propos d’en partager ici la teneur.
* Musée d'histoire de Lyon.
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« Tactiques de combat, évolution et comparaison
entre l’armée d’Augereau et l’armée autrichienne »
(par Diégo Mané, Lyon, 2014)
Introduction
Le but de ce court exposé est de comparer l’évolution des tactiques de combat et des structures des armées françaises et autrichiennes sous l’Empire, pour aboutir à celles, particulières, des troupes s’affrontant dans le Lyonnais en 1814.
Mais vouloir comparer les armées française et autrichienne en 1805 revient à vouloir comparer l’incomparable, dans les deux sens du terme.
À l’inverse, vouloir trouver des différences structurelles fondamentales entre elles en 1814, est un sujet limité tant elles sont devenues rares, l’élève ayant très bien copié le maître.
Un exercice de style, donc, que je vais décliner en trois parties, correspondant à trois «moments»-confrontations entre forces en majorité françaises opposées à des forces en majorité autrichiennes, à l’exclusion de celles d’autres «grandes puissances» de l’époque :
• 1805, la campagne d’Ulm, écrasant succès français
• 1809, la campagne d’Autriche, le dernier succès français, malgré le revers d’Essling
• 1814, la campagne de Lyon, net succès autrichien
Il ne vous échappera pas non plus que les trois circonstances ne sont pas aisément comparables, tant les choses ont rapidement évolué, pour ne pas dire changé, au cours de ces dix années «impériales».
1) 1805, les armées lors de la campagne d’Ulm
La « Grande Armée » française de 1805
L’armée française de 1805 ne se présente plus, c’est la célèbre « Grande Armée » dans toute sa splendeur. Ses sous-officiers, officiers, et même généraux, à la fois jeunes et expérimentés, sont dans leur très grande majorité sortis du rang à l’occasion des guerres de la Révolution, qui ont donné leur chance à tous les talents. L’Empire naissant permet d’espérer la continuité de ce principe. Son empereur et général en chef, Napoléon Ier, est le plus grand stratège des temps modernes, et surclasse nettement tous ses opposants.
Aux divisions, innovation de la Révolution, succèdent en tant qu’unités tactiques, les corps d’armée, étendant l’esprit de corps à des formations permanentes de 20 à 30000 hommes qui rivaliseront de gloire et d’émulation sous les nouveaux maréchaux de l’Empire. Les réserves de cavalerie et d’artillerie font aussi leur apparition, permettant l’usage massif et nouveau de ces deux armes, jusque-là confinées au soutien de l’infanterie.
Les «troupiers de base», pour les deux tiers vétérans, formés au camp de Boulogne à l’exécution des manoeuvres que la Révolution n’avait pas eu le temps de leur enseigner, assimilèrent d’excellence le tiers de nouveaux conscrits qui devint rapidement aussi performant qu’eux. Les régiments alignent deux bataillons de 1000 hommes chacun en neuf compagnies dont huit de fusiliers et une de grenadiers, combattant en ligne sur trois rangs, colonne par division de deux compagnies de front, ou carré contre la cavalerie.
À l’utilisation massive des tirailleurs, autre héritage de la Révolution, quand l’inexpérience de la troupe aux formations serrées conduisait à l’employer en ordre dispersé, avait succédé un usage plus «raisonné», qui aboutira bientôt à la création d’une compagnie de voltigeurs à la place d’une des huit de fusiliers dans chaque bataillon. Le caractère national du Français, soit son esprit d’initiative, fera merveille dans ce type de combat, dans lequel il restera inégalé de toute armée continentale. La différence était même létale en 1805 où elle s’exerçait sans opposition.
Mais surtout, du haut en bas de la hiérarchie, du premier empereur au dernier tambour, chacun connaissait ses «voisins» et était accoutumé à les pratiquer. Il en résulta une «flexibilité» exceptionnelle de l’outil militaire français, unique en son genre au moment qui nous occupe.
Il est à l’époque la première armée «moderne», par comparaison aux «armées d’Ancien Régime» des autres grandes puissances européennes, dont bien sûr l’Autriche. Il fera rapidement, à la lumière fracassante de ses exploits, des envieux puis des émules, qui finiront par le terrasser, mais seulement lorsque les circonstances exceptionnelles que l’on sait, Espagne, Russie, l’auront réduit aux abois par la perte de ses vétérans comme de ses meilleurs généraux.
L’armée autrichienne de Souabe en 1805
L’armée autrichienne de 1805 est typiquement une «armée d’Ancien Régime», soit totalement inadaptée à la rencontre «inopinée», dans les deux sens du terme, que sera la campagne d’Ulm. Nous dirions aujourd’hui, qu’elle avait une guerre de retard, voire deux par rapport à l’armée française si l’on admet que celle-ci avait au contraire une guerre d’avance.
Différence majeure qui restera, l’empire d’Autriche se composait d’une mosaïque de peuples. Son armée en était le reflet, avec des troupes allemandes, hongroises, bohémiennes, moraves, galiciennes, serbes, croates, et j’en passe... dont la langue de commandement était l’allemand, mais dont les officiers communiquaient en français !
Comparons la à son adversaire du bas vers le haut de la hiérarchie. Ses soldats, en majorité de mauvais conscrits, étaient inexpérimentés et sous-entraînés, et ces deux défauts s’étendaient à tous les niveaux, généraux vieillissants inclus, qui partageaient le manque d’enthousiasme général. Le chef titulaire, l’archiduc Ferdinand était jeune, lui, trop peut-être, mais ne commandait pas vraiment car un «faiseur» d’état-major, le FML Mack, tenait en réalité les rênes. Fraîchement nommé, ce dernier avait eu cependant le temps de mettre en oeuvre une réforme majeure des structures de l’armée, pas totalement mauvaise d’ailleurs, mais à contre-courant du système en place, heurtant donc les conservatismes et ajoutant son lot de confusions à la veille des combats.
Pour l’essentiel nous dirons que le régiment d’infanterie passait à cinq bataillons à quatre compagnies chacun, combattant exclusivement en ligne ou en carré, et délivrant des feux de salve « frédériciens » avec des fusils inférieurs à ceux des Français, aggravant encore l’écart dans ce domaine. L’effectif de la compagnie restait inchangé. De fait un capitaine autrichien, noble ayant tout à perdre (à commencer par sa troupe dont il était «propriétaire»), vieux et inexpérimenté, commandait à 150 mauvais soldats, quand un capitaine français, roturier ayant tout à gagner, y compris la noblesse, jeune et très expérimenté, en menait 100 excellents !
Pour la cavalerie, mieux composée que l’infanterie, et correctement montée, théoriquement en tous points supérieure à la française, la tare majeure restait le commandement, que l’archiduc Charles lui-même avait désigné comme responsables des insuccès répétés de l’arme durant les guerres de la Révolution.
Un défaut structurel majeur de l’infanterie, se trouvait en outre aggravé dans la cavalerie.
S’il n’existait pas d’organisation permanente au-dessus du régiment chez les fantassins, la cavalerie, qui, alignait des régiments de huit escadrons, les utilisait en unités tactiques ou «divisions» de deux escadrons, le plus souvent séparées les unes des autres, à l’appui de l’infanterie, de sorte qu’elles étaient systématiquement surclassées par les régiments français de trois ou quatre escadrons manoeuvrant ensemble.
Quant ’ à l’artillerie, il y avait plusieurs niveaux d’écart entre la française, utilisée avec maestria au niveau «divisionnaire» (batteries de douze pièces), voire corps d’armée, et l’autrichienne, «bataillonnaire», affectée à raison de deux pièces à chacun des trois premiers bataillons de chaque régiment d’infanterie, de sorte à rendre son usage «indolore» à l’ennemi tout en embarrassant et parfois perdant, dans les deux sens du terme, son unité mère, qu’elle soit partie sans eux, ou au contraire se soit sacrifiée pour eux. Mais ce n’était pas tout. Il faut ajouter que le matériel était inférieur au français, notamment en portée, sans parler du service des pièces, assuré pour moitié par des fantassin sans expérience de l’arme, comparés à l’exceptionnelle expertise des artilleurs d’en face !
Pour couronner le tout, à la supériorité «technique» française dans l’utilisation de chacune des trois armes, s’ajoutait l’incompétence notoire de l’état-major autrichien, adossée à la propension de ses généraux en chef à changer en permanence les ordres, jusqu’à plusieurs fois par jour dans le cas de Mack à Ulm, modifiant donc plus que quotidiennement la composition des «colonnes» ad’hoc destinées à agir de concert dans les combats. De sorte que d’un jour à l’autre, un général ne savait pas ce qu’il commandait, ni la troupe de quel chef elle relevait, provoquant des confusions, pour ne pas dire pagailles, préjudiciables au bon déroulement des opérations.
Ajoutons que les troupes, déjà naturellement plus lentes que les françaises, étaient suivies de convois considérables qui les ralentissaient encore, bloquaient les routes le soir en s’y arrêtant anarchiquement là où la nuit les trouvait, empêchant tout mouvement jusqu’au lendemain.
Nous avons coutume de dire qu’ «il n’y a pas de mauvaises troupes, seulement de mauvais généraux», mais quand les deux facteurs se liguent aux extrêmes, réunissant bonnes troupes bien commandées contre mauvaises mal commandées, le résultat ne fait pas de doute.
Et nous n’avons pas encore parlé du nombre... que l’on peut résumer à deux contre un en faveur des Français ! (164000 sabres et baïonnettes contre 72000), avant d’ajouter que sa supériorité technique et morale valorisait chaque Français comme deux Autrichiens.
Non, résolument, l’armée autrichienne de 1805 n’avait aucune chance de l’emporter contre la Grande Armée de Napoléon, qu’elle permit en outre de s’aguerrir davantage à ses dépens.
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À suivre, les armées autrichiennes et françaises en 1809