"Bataille" ou "Combat" ?

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"Bataille" ou "Combat" ?

Messagepar MANÉ Diégo sur 08 Fév 2011, 23:09

“Bataille” ou “Combat” ?

Cette question m’est suggérée par l’approche relative que font certains auteurs et, en l’occurrence Digby Smith (le ci-devant Otto von Pivka), que j’utilise comme fil d’ariane (pas plus, il ne faut pas exagérer) pour ma propre liste de Batailles et Combats de la Révolution et de l’Empire, celle de la Révolution étant déjà en ligne sur Planète Napoléon, rubrique Articles d'Histoire Militaire.

Et donc, connaissant mieux l’Empire que la Révolution, je me pose la question de savoir ce qui détermine les qualificatifs respectifs de “Bataille” et “Combat”.

On aurait pu croire que c’est une question de taille, où d’effectifs engagés, mais si l’on se réfère à l'auteur susnommé ce critère ne tient pas.

Par exemple deux “petites” rencontres que je connais très bien sont respectivement “Bataille” et “Combat” alors que l’on aurait pu penser l’inverse.

La bataille de Maida, Juillet 1806 en Calabre, 11.200 hommes engagés, se termine en déroute française au bout de 15 minutes, les “fifteen minutes of glory” des auteurs anglo-saxons.

Le combat de Saalfeld, Octobre 1806 en Saxe, 22.400 hommes engagés, qui se termine en déroute Prusso-Saxonne, mais après au moins deux heures de combats.

Dans les deux cas les pertes des vainqueurs sont, proportionnellement, légères, et celles des vaincus lourdes, et donc ce n’est pas non plus le critère pertes qui détermine.

Alors je me suis rabattu sur les définitions des dictionnaires “Larousse” :

-Combat =

Lutte entre gens armés (1957).

Lutte entre troupes armées (1975).

Engagement militaire limité dans l’espace et dans le temps (1990).

Bataille =

Combat général entre deux armées (1957 et 1975).

Combat important entre deux groupes armés (1990).


Comme on le voit les définitions bougent avec le temps, mais les plus intéressantes pour nous sont les suivantes :

-Combat =

Engagement militaire limité dans l’espace et dans le temps (1990).

Bataille =

Combat général entre deux armées (1957 et 1975).

Qui se trouvent aussi confortées par une intéressante définition du combat donnée dans le “Dictionnaire des armées de terre et de mer” de 1881, à savoir :

“COMBAT. C’est le diminutif d’une bataille.
Celle-ci est une action générale, l’autre une action partielle.

Souvent on livre un combat pour arriver à une bataille. C’est le général en chef qui règle les dispositions d’une bataille et en dirige les diverses péripéties ; le combat appartient à un simple général ou à tout autre officier d’un grade inférieur ; et l’importance des résultats est en raison des forces engagées, de la position enlevée ou défendue, et d’une foule de circonstances prévues ou fortuites. Plusieurs combats successifs livrés par des corps partiels, dans les manoeuvres d’une armée, peuvent avoir des avantages aussi décisifs que ceux qui seraient résultés de l’engagement général de cette même armée.”

A la lumière de toutes ces précisions, revenons à mes deux exemples.

Maida. Difficile de faire plus limité dans l’espace (1.300 m) et le temps (15 mn), et pourtant ce n’est pas un combat mais une bataille, en vertu donc du deuxième critère, prioritaire en l’occurrence, s’agissant d’un “combat général entre deux armées”, quand bien même elles soient petites ! L’action est en outre bien dirigée par le général en chef du secteur (valable pour les deux camps).

Saalfeld. N’est pas “un combat général entre deux armées” mais bien une “action partielle” commandée par un “subalterne” du général en chef (valable pour les deux camps). Nous avons donc bien là un combat et non une bataille.

D’autres situations peuvent s’avérer polémiques. Ainsi un combat “important” bien que partiel mais dirigé par le général en chef, Landshut 1809 par exemple, n’est pas pour autant une bataille.

Mais quid alors d’Iéna 1806 qui correspond aux mêmes critères, “combat important bien que partiel mais dirigé par le général en chef”, car l’engagement n’est pas général, puisque plus loin se livrait en même temps, à Auerstaedt, un autre “combat important bien que partiel” mais dirigé par un subalterne du général en chef (Davout).

Et là pourtant tout le monde s’accorde à parler de bataille dans les deux cas. Il faut dire aussi que dans ces deux batailles les généraux en chef rencontrèrent un subalterne de leur homologue. Cela complique ! Et cela vaut pour les Quatre-Bras en 1815.

Bref, des lignes directrices, mais pas de règle immuable puisqu’il y a autant de cas différents que de batailles ou combats, comme on peut le constater dans mes listes, et des interrogations demeurent.

Ainsi pourquoi Golymin 1806 = combat si Pultusk 1806 = bataille ? Raszyn 1809 = combat, alors que les troupes opposées sont bien isolées des armées principales et forment corps indépendants. Pourquoi Eberberg 1809 = bataille alors qu’il s’agit d’une rencontre partielle commandée par des subalternes du général en chef (Masséna et Hiller). Pourquoi Maria = bataille, et Belchite = combat, alors qu’il s’agit, à trois jours d’intervalle, des mêmes troupes sous les mêmes chefs (Suchet et Blake) ?

En 1812, plusieurs engagements, certes de niveau corps d’armée, mais se trouvant de facto dans des situations indépendantes sont dénommés combats alors que bataille me paraît licite si l’on interprète la définition. En effet, les combats de Mohilew et Kliastitzy, ne sont jamais que très approchants en situation des batailles de Polotsk, Gorodeczna, Valutina, Malojaroslawetz...

En 1813, Gross-Beeren répond, certes, aux définitions d’un combat, puisque seuls deux corps opposés y ont vraiment lutté, mais la bataille de Dennewitz ne concerne guère davantage de Prussiens que le même corps du “subalterne” Bülow.

En 1814, plusieurs batailles peinent à réunir les critères, quand bien même souvent l’Empereur soit présent, mais contre un subalterne ennemi ou deux (Montmirail, Montereau). A l’inverse pour Bar-sur-Aube et Fère-Champenoise, c’est le Tsar qui lutte contre un subalterne de Napoléon (Oudinot, Marmont...). Dans tous ces cas les rencontres sont loin, très loin, d'être "générales".

Bref, au final, il semble bien que ces définitions ne soient pas si rigoureuse que cela et que chacun ait développé peu ou prou sa propre vision des choses.

J’ai la mienne, mais, pour une fois que le factuel fait défaut, quelle est la vôtre, notamment sur tous les cas “polémiques” que j’ai cités plus haut, et pourquoi ?

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Re: "Bataille" ou "Combat" ?

Messagepar MELCHIOR Thierry sur 09 Fév 2011, 13:59

Bonjour Diégo,

Le « Napoleonic Wars Data Book » du sieur Digby Smith est dans ma bibliothèque, parfois il est mieux que rien ! :mrgreen:
Le sieur susnommé est un francophobe notoire, donc les Français (et Alliés) gagnent les petits combats et perdent les grandes batailles ! :mrgreen:

Mon opinion :
Je considère que le combat est individuel dans son sens premier, combattre = se battre l'un contre l'autre, la bataille étant un ensemble de combats.
Au fur et à mesure que l'homme a progressé dans l'Art de la guerre, les combats individuels se sont raréfiés pour devenir des affrontements entre groupes plus ou moins formés et plus ou moins gros, la bataille étant toujours un ensemble de combats.

Sinon, je dirais que c'est une question d'échelle, un combat perdu peut influer sur l'issue de la bataille, alors qu'une bataille perdue influera sur la conduite voire l'issue de la guerre !


Voilà, mes deux sous. :wink:

Amitiés,
Thierry.
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Re: "Bataille" ou "Combat" ?

Messagepar MANÉ Diégo sur 12 Fév 2011, 22:24

Oui, Thierry, le "Napoleonic Wars Data Book" de Digby Smith, c'est mieux que rien, notamment quand on ne connais pas le sujet ponctuel que l'on y recherche.

Mais comme sur les très nombreux sujets que je connais, voire maîtrise, je le trouve régulièrement en défaut (pas une seule fois en accord sur les effectifs annoncés, souvent en désaccord sur les résultats, etc...), je m'inquiète sur la fiabilité des éléments donnés dans les autres cas.

Parlant de cas, en voici un de concret qui m'interpelle et pour lequel je lance un appel à l'aide sur un post dédié dont je serai surpris qu'il fasse un "buzz".

J'ai nommé la bataille de Bazardjik en 1806, ici :

viewtopic.php?f=1&t=765

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Re: "Bataille" ou "Combat" ?

Messagepar MANÉ Diégo sur 08 Mar 2011, 00:11

En "grattant" sur les Ordres de Bataille de Polotsk en août 1812 je suis tombé sur un passage des "Mémoires" de Marbot (page 109 T3) qui semble avoir été écrit pour répondre à ce post :

"Le 16 août... l'armée russe, forte de soixante et quelque mille hommes, vint attaquer Oudinot, qui, en comptant le corps bavarois amené par Saint-Cyr, avait sous ses ordres 52,000 combattants. En toute autre circonstance et dans les guerres ordinaires, un engagement entre 112,000 hommes aurait pris le nom de bataille, dont la perte ou le gain aurait eu d'immenses résultats; mais en 1812, le chiffre des troupes des armées belligérantes s'élevant à 600,000 ou 700,000 hommes, une collision entre 100,000 guerriers n'était qu'un combat ! C'est donc ainsi qu'on désigne l'affaire qui eut lieu sous Polotsk, entre les troupes russes et le corps du maréchal Oudinot."

Et donc on désignait ainsi l'affaire à l'époque... mais on ne le fait plus aujourd'hui puisqu'il s'agit pour tout le monde d'une "bataille". Les temps ont changé ?

Petite correction sur les chiffres de Marbot. Si Oudinot disposait, en réalité, de près de 40,000 hommes à Polotsk, Wittgenstein n'en avait au plus que 24,000, mais cela ne change pas le raisonnement.

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Re: "Bataille" ou "Combat" ?

Messagepar MANÉ Diégo sur 14 Mar 2012, 17:41

Combat ou bataille ? Un avis autorisé !

(s’exprimant par rapport à la bataille de Smolensk en 1812)

“Napoléon, dans son 13e bulletin, dit à juste titre qu’on peut appeler ce combat une bataille, puisque 100,000 hommes y ont été engagés de part et d’autre.

Nous manquons d’une définition exacte qui détermine ce qui constitue véritablement une bataille, et l’on peut encore se demander si ce nom doit être donné à une action d’après le nombre d’hommes qui y ont pris part, sa durée ou les pertes qu’elle a occasionnées, sans égard au nombre de combattants ? Napoléon paraît trancher pour le premier avis. Si l’on adoptait ce principe, il n’y aurait que lui et quelques généraux qui aurait donné des batailles, et la plupart de celles de Turenne, d’Epaminondas, d’Alexandre même, et de tant d’autres célèbres guerriers, devraient changer de nom, et rentrer dans la catégorie des combats.

Il y a eu des affaires (celle de Senef, par exemple) qui réunissent les différentes circonstances dont j’ai parlé plus haut, et qu’on désigne sous le nom de combats ; d’autres qui sont loin de les présenter au même degré, telle qu’une simple canonnade, ou une action dans laquelle une partie de l’armée seulement a été engagée, et que l’on qualifie du titre de batailles. En attendant que cette question soit résolue, je crois pouvoir me servir indistinctement de l’une ou l’autre de ces expressions. Je suis d’avis, cependant, que l’on ne devrait appeler batailles que les actions ou la plus grande partie d’un corps de troupes de différentes armes aurait avec franchise abordé l’ennemi à portée de la baïonnette ou de toute autre arme blanche, et qu’il en serait résulté un choc tel que l’assailli ou l’assaillant aurait été, l’un déposté de sa position, ou l’autre repoussé de son attaque, avec ses lignes rompues et un commencement de déroute. Si cette opinion est fondée en raison, il en résulterait qu’un corps de quelques mille hommes qui aurait abordé l’ennemi comme je viens de le dire, avec la presque totalité de ses forces, aurait livré une bataille, tandis qu’une armée de 100,000 combattants, qui aurait canonné toute une journée sans engager les troupes, n’aurait eu qu’une affaire, qui, pour être qualifiée avec justesse, devrait s’appeler une canonnade; que la même armée qui, indépendamment de son artillerie, se serait servie de sa mousqueterie sur le front de sa position, mais toujours sans aborder l’ennemi, n’aurait eu qu’un combat; et qu’enfin, si outre cela elle n’avait engagé qu’une faible portion de ses troupes, elle n’aurait point encore livré une bataille, dans toute l’acception que je donne à ce nom.”

Laurent Gouvion Saint-Cyr, Maréchal de France, in “Mémoires pour servir à l’histoire militaire... campagne de 1812 en Russie”, note, pages 256-258, Paris, 1831.
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Re: "Bataille" ou "Combat" ?

Messagepar BOUTTET Denis sur 06 Avr 2012, 12:00

Bonjour à tous,

La question est intéressante tant il y a des approches possibles. Les définitions mettent en évidence des termes qui sont très proches et dont finallement l'usage dépend beaucoup du contexte.
Les expressions courantes peuvent également nous donner une indication sur la nuance qui peut exister entre ces 2 mots. Exemples : combat perdu d'avance, combat sans merci, combat contre la mort, bataille pour la vie, livrer bataille, etc. Mon analyse sémentique ne donne rien de très concluant au point du sens profond mais je note ceci :
- les expressions "se mettre en ordre de bataille", "champ de bataille" confère au terme un aspect plus solennel que celui de combat,
- on nomme toutes les batailles "bataille de l'Atlantique", "bataille du rail", etc. et on communique dessus
- une bataille permet d'identifier généralement un vainqueur.

Le terme même de bataille renvoie donc à quelque chose de spécifique a contrario de celui de combat qui pour le coup, est plus générique. Le terme de bataille est associé à un événement important tant par le résultat que par les conséquences, c'est donc plutôt un label de reconnaissance a posteriori c'est certain. Quant à savoir si un bataille peut se décrété avant engagement, hormis quelques batailles majeures (Austerliz & Co) je ne pense pas.

S'il s'agit d'établir des critères de classification, ils doivent plutôt être basé sur un résultat que sur des moyens. Ce résultat doit être apprécié au regard d'une campagne/opération. J'ai bien peur de ce fait qu'il n'y ait pas de critères quantitatifs clairement signifiants.

Quant à construire une classification (cannonade, engagement, combat, bataille, etc.), pourquoi pas mais il faut que l'auteur clarifie au préalable ses définitions et ses critères d'appréciation. Mon conseil serait d'évaluer ces événements militaires uniquement au regard de leur conséquence sur les événements ultérieurs. A titre d'exemple : "bataille majeure" bataille marquant la fin d'une campagne, "bataille" combat marquant un changement/renforcement de l'initiative stratégique, "combat", engagement de forces sans conséquence, etc.

A votre disposition pour en reparler
Ils sont fous ces bretons, ils brassent la bière à l'eau de mer ...
BOUTTET Denis
 
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