“Bataille” ou “Combat” ?
Cette question m’est suggérée par l’approche relative que font certains auteurs et, en l’occurrence Digby Smith (le ci-devant Otto von Pivka), que j’utilise comme fil d’ariane (pas plus, il ne faut pas exagérer) pour ma propre liste de Batailles et Combats de la Révolution et de l’Empire, celle de la Révolution étant déjà en ligne sur Planète Napoléon, rubrique Articles d'Histoire Militaire.
Et donc, connaissant mieux l’Empire que la Révolution, je me pose la question de savoir ce qui détermine les qualificatifs respectifs de “Bataille” et “Combat”.
On aurait pu croire que c’est une question de taille, où d’effectifs engagés, mais si l’on se réfère à l'auteur susnommé ce critère ne tient pas.
Par exemple deux “petites” rencontres que je connais très bien sont respectivement “Bataille” et “Combat” alors que l’on aurait pu penser l’inverse.
La bataille de Maida, Juillet 1806 en Calabre, 11.200 hommes engagés, se termine en déroute française au bout de 15 minutes, les “fifteen minutes of glory” des auteurs anglo-saxons.
Le combat de Saalfeld, Octobre 1806 en Saxe, 22.400 hommes engagés, qui se termine en déroute Prusso-Saxonne, mais après au moins deux heures de combats.
Dans les deux cas les pertes des vainqueurs sont, proportionnellement, légères, et celles des vaincus lourdes, et donc ce n’est pas non plus le critère pertes qui détermine.
Alors je me suis rabattu sur les définitions des dictionnaires “Larousse” :
-Combat =
Lutte entre gens armés (1957).
Lutte entre troupes armées (1975).
Engagement militaire limité dans l’espace et dans le temps (1990).
Bataille =
Combat général entre deux armées (1957 et 1975).
Combat important entre deux groupes armés (1990).
Comme on le voit les définitions bougent avec le temps, mais les plus intéressantes pour nous sont les suivantes :
-Combat =
Engagement militaire limité dans l’espace et dans le temps (1990).
Bataille =
Combat général entre deux armées (1957 et 1975).
Qui se trouvent aussi confortées par une intéressante définition du combat donnée dans le “Dictionnaire des armées de terre et de mer” de 1881, à savoir :
“COMBAT. C’est le diminutif d’une bataille.
Celle-ci est une action générale, l’autre une action partielle.
Souvent on livre un combat pour arriver à une bataille. C’est le général en chef qui règle les dispositions d’une bataille et en dirige les diverses péripéties ; le combat appartient à un simple général ou à tout autre officier d’un grade inférieur ; et l’importance des résultats est en raison des forces engagées, de la position enlevée ou défendue, et d’une foule de circonstances prévues ou fortuites. Plusieurs combats successifs livrés par des corps partiels, dans les manoeuvres d’une armée, peuvent avoir des avantages aussi décisifs que ceux qui seraient résultés de l’engagement général de cette même armée.”
A la lumière de toutes ces précisions, revenons à mes deux exemples.
Maida. Difficile de faire plus limité dans l’espace (1.300 m) et le temps (15 mn), et pourtant ce n’est pas un combat mais une bataille, en vertu donc du deuxième critère, prioritaire en l’occurrence, s’agissant d’un “combat général entre deux armées”, quand bien même elles soient petites ! L’action est en outre bien dirigée par le général en chef du secteur (valable pour les deux camps).
Saalfeld. N’est pas “un combat général entre deux armées” mais bien une “action partielle” commandée par un “subalterne” du général en chef (valable pour les deux camps). Nous avons donc bien là un combat et non une bataille.
D’autres situations peuvent s’avérer polémiques. Ainsi un combat “important” bien que partiel mais dirigé par le général en chef, Landshut 1809 par exemple, n’est pas pour autant une bataille.
Mais quid alors d’Iéna 1806 qui correspond aux mêmes critères, “combat important bien que partiel mais dirigé par le général en chef”, car l’engagement n’est pas général, puisque plus loin se livrait en même temps, à Auerstaedt, un autre “combat important bien que partiel” mais dirigé par un subalterne du général en chef (Davout).
Et là pourtant tout le monde s’accorde à parler de bataille dans les deux cas. Il faut dire aussi que dans ces deux batailles les généraux en chef rencontrèrent un subalterne de leur homologue. Cela complique ! Et cela vaut pour les Quatre-Bras en 1815.
Bref, des lignes directrices, mais pas de règle immuable puisqu’il y a autant de cas différents que de batailles ou combats, comme on peut le constater dans mes listes, et des interrogations demeurent.
Ainsi pourquoi Golymin 1806 = combat si Pultusk 1806 = bataille ? Raszyn 1809 = combat, alors que les troupes opposées sont bien isolées des armées principales et forment corps indépendants. Pourquoi Eberberg 1809 = bataille alors qu’il s’agit d’une rencontre partielle commandée par des subalternes du général en chef (Masséna et Hiller). Pourquoi Maria = bataille, et Belchite = combat, alors qu’il s’agit, à trois jours d’intervalle, des mêmes troupes sous les mêmes chefs (Suchet et Blake) ?
En 1812, plusieurs engagements, certes de niveau corps d’armée, mais se trouvant de facto dans des situations indépendantes sont dénommés combats alors que bataille me paraît licite si l’on interprète la définition. En effet, les combats de Mohilew et Kliastitzy, ne sont jamais que très approchants en situation des batailles de Polotsk, Gorodeczna, Valutina, Malojaroslawetz...
En 1813, Gross-Beeren répond, certes, aux définitions d’un combat, puisque seuls deux corps opposés y ont vraiment lutté, mais la bataille de Dennewitz ne concerne guère davantage de Prussiens que le même corps du “subalterne” Bülow.
En 1814, plusieurs batailles peinent à réunir les critères, quand bien même souvent l’Empereur soit présent, mais contre un subalterne ennemi ou deux (Montmirail, Montereau). A l’inverse pour Bar-sur-Aube et Fère-Champenoise, c’est le Tsar qui lutte contre un subalterne de Napoléon (Oudinot, Marmont...). Dans tous ces cas les rencontres sont loin, très loin, d'être "générales".
Bref, au final, il semble bien que ces définitions ne soient pas si rigoureuse que cela et que chacun ait développé peu ou prou sa propre vision des choses.
J’ai la mienne, mais, pour une fois que le factuel fait défaut, quelle est la vôtre, notamment sur tous les cas “polémiques” que j’ai cités plus haut, et pourquoi ?
Diégo Mané