par MANÉ Diégo sur 26 Oct 2020, 17:38
Suite de l'essai de Thierry Legrand sur...
Les combats de juillet 1793 en Vendée
III- Incursions républicaines dans le Poitou insurgé
B- Première bataille de Châtillon – 5 juillet 1793
C’est le 5, vers dix heures selon Westermann, que lui arrivent deux mille hommes venant de Parthenay : il s’agirait de patriotes de Parthenay et des environs, espérant tirer vengeance du traitement qu’avaient subi leurs maisons de la part des Royalistes. Crétineau-Joly parle, sûrement à tort, de quatre mille hommes, gardes nationaux de Saint-Maixent, de Parthenay et des environs de ces localités. Le général Turreau dans ses mémoires écrit que « lorsque Westermann augmenta le corps d'armée qu'il commandait, pour aller attaquer Châtillon, il fît marcher mille ou douze cents pères de famille, tant de Saint Maixent que de Parthenay, qui périrent presque tous dans l'expédition ».
Il ne semble pas qu’on doive inclure dans ces renforts, les hommes promis et envoyés par Chalbos. En effet, Westermann écrit que, c’est en retraitant sur Parthenay après les combats, qu’il rencontra 1.500 hommes venant de Niort ; ou alors, ces 1.500 hommes seraient d’autres renforts envoyés par Chalbos.
Comme on l’a vu, Westermann a installé une grande partie de ses forces sur les hauteurs au sud-ouest de Châtillon. Il y domine certes toute la région, ses flancs nord et est, protégés par une pente très difficile d’accès ; son flanc ouest aussi mais dans une moindre mesure. De cette hauteur il domine la route de Cholet, d’où il prévoit que viendra l’armée ennemie et il garnit ces hauteurs des canons qu’il possède. Il savait les Blancs en approche et espérait peut-être pouvoir les fixer sur Châtillon tandis que l’armée provenant de Saumur et promise par Biron ne trouverait pas de forces ennemies pouvant s’opposer à son entrée en territoire insurgé. Cependant, Westermann manquait de munitions et, en cas d’attaque massive par l’ouest et la route du Temple, il pourrait se retrouver le dos à une pente très escarpée et à une rivière, rendant toute retraite difficile et hasardeuse.
Il semble bien en outre que Westermann ait manqué à la plus élémentaire prévoyance en ne vérifiant pas que des avant-postes soient installés et que des cavaliers éclairent les routes par lesquels devait arriver l’ennemi.
Pendant ce temps, les Blancs ne sont pas restés inactifs. La prise de leur « capitale », Châtillon, fait l’effet d’un coup de tonnerre. Incapables de tenir tête à l’envahisseur, Lescure et La Rochejaquelein appelèrent les soldats de l’Anjou à la rescousse, envoyant de nombreux courriers expliquant le danger que faisaient courir l’ennemi au cœur de leur pays. Leur appel fut entendu. D’Elbée et Bonchamps convoquèrent à Cholet les soldats qui avaient combattu sous les murs de Nantes, tout juste rentrés chez eux. De même, Stofflet réunit les volontaires des cantons de Vihiers et de Maulévrier, dans ce dernier lieu, avant de se diriger vers Cholet. Bonchamps, toujours convalescent de la blessure reçue le 25 mai à Fontenay semble avoir participé aux combats. A Nantes, le 29 juin, il avait voulu être présent au milieu de ses soldats, mais sans pouvoir combattre.
Dès le 4 au soir, ce sont vingt à vingt-cinq mille hommes qui se trouvent réunis à Cholet. Le 5, au point du jour, cette armée se dirige vers Châtillon.
Les généraux royalistes savent que Westermann s’est installé sur les hauteurs de Château-Gaillard. Alors que Stofflet propose de lancer l’attaque par le nord, les autres chefs présents suivent l’avis de Lescure qui connaît bien le terrain. Arrivé à peu de distance de Châtillon par la route de Cholet, l’armée vendéenne se partage en deux colonnes. L’une oblique à droite et vient déboucher sur le chemin du Temple à Châtillon. L’autre continue sa route directement. En vue du faubourg Saint-Jouin, cette dernière s’arrête, hors de portée de l’artillerie républicaine et attend que la première colonne soit en position d’attaquer le camp retranché ennemi. Cette colonne est sous les ordres de d’Elbée, Lescure, La Rochejaquelein et Bonchamps. Elle est la plus nombreuse, emporte avec elle toute l’artillerie, car elle est chargée de l’attaque principale. Profitant du terrain encaissé, des haies et de l’absence d’avant-postes ennemis, les Vendéens arrivent à se déployer à l’ouest du coteau de Château-Gaillard sans alerter les Bleus. « Les chefs enjoignent à leurs soldats d’élite de ramper presque à plat ventre derrière les blés et d’approcher ainsi le plus près possible de l’ennemi avant d’ouvrir le feu. Ils déploient ensuite leurs tirailleurs sur les ailes, selon leur habitude, placent les canons au centre et la cavalerie en queue pour soutenir la retraite en cas de revers. A dix heures Marie-Jeanne retentit ; alors toute cette première colonne s’élance en avant, et l’infanterie prend le pas de course » (Deniau, Tome 2).
Les Républicains sont pris par surprise et à revers, leur artillerie toujours braquée vers le nord et la route de Cholet. Quelques-uns résistent autant qu’ils le peuvent mais beaucoup ne pensent qu’à fuir par l’unique voie possible, l’est et sa pente escarpée. De plus leur général n’est pas là : Westermann était en effet dans Châtillon, surpris de l’attaque ennemie. Il s’empresse de se rendre dans le camp républicain attaqué mais c’est pour apercevoir la confusion qui règne parmi ses soldats. « Les premiers descendirent ce coteau plutôt en roulant qu’en courant ; mais les canonniers ayant voulu entraîner l’artillerie de ce côté et cette voie étant presque impraticable, les chevaux, les canons, les caissons, ne pouvant résister à leur poids qui les entraînait sur cette pente rapide, culbutèrent tous les uns sur les autres dans le ravin, à quatre-vingts pieds de profondeur, entraînant, dans leur chute, tout ce qui se trouvait sur leur passage. Le ravin se trouva bientôt obstrué : fantassins, cavaliers, chevaux, tous pressés, poussés, étouffés roulaient en désordre et n’offraient plus qu’une masse inerte et pleine de confusion. » (M. Boutillier de Saint-André, Mémoires d’un père de famille) Pour ceux qui réussirent à franchir le ravin et à atteindre la ville de Châtillon, ils furent accueillis par les Vendéens de la deuxième colonne, venant de Saint-Jouin. Les combats ne durèrent qu’une ou deux heures seulement.
Un canonnier de la Légion du Nord prénommé Colson, fait prisonnier et libéré sur parole, le crâne rasé, donnera la déclaration suivante aux autorités de Saumur le 10 juillet : « occupant un terrain couvert de grains prêts à être coupés et étant obligés de manœuvrer dans les champs, le feu a pris dans les grains qui nous entouraient. L’incendie faisant des progrès rapides, n’ayant pas, du reste, de moyens de défense, voyant l’instant où le feu allait gagner nos caissons et les faire sauter ; nous trouvant d’ailleurs assaillis par une mousqueterie qui ne cessait de faire sur nous un feu continuel, nous avons cherché à faire notre retraite. Mais ne pouvant la faire que par une descente très rapide, le premier caisson s’est culbuté, avec les chevaux et les charretiers, du haut en bas de la montagne ; une pièce de quatre a roulé et est tombée dans un étang ; d’autres pièces ont eu le même sort, et le surplus a été abandonné sur le terrain par les canonniers qui, se trouvant atteints par l’incendie des blés, ont été forcé de se sauver. Plusieurs ont péri sur place ; ils ont été brûlés parce qu’ils y étaient retenus par les blessures qu’ils avaient reçues. »
Incapable de rétablir l’ordre dans les rangs républicains, pris dans la déroute, Westermann essaya de rallier sa cavalerie mais ne réussit pas à arrêter la fureur des Vendéens. Il écrit lui-même que « la déroute fut complète ; tout devint la proie de l’ennemi qui me tua au moins deux cents hommes et fit près de mille prisonniers. »
Les débris de sa troupe se réfugièrent à Parthenay, après avoir été harcelés par les paysans le long de la route.
Westermann justifie de son absence dans le camp retranché de Château-Gaillard par le fait qu’il était en train d’essayer d’organiser dans Châtillon, les deux mille patriotes arrivés au même moment. Un témoin oculaire, Mercier du Rocher (in Chassin, La Vendée Patriote, tome II), explique que « le général était occupé à percer lui-même un vieux fût de Bordeaux dans la salle de Locqué, receveur du district, lorsque le canon des révoltés se fit entendre sur Châtillon. C’était le 5 juillet ; il était onze heures et demie du matin. Nos troupes étaient sur les hauteurs de Château-Gaillard ; elles vidaient des bouteilles, les armes en faisceaux. »
Westermann accusera plus tard les 11e et 14e bataillons de la formation d’Orléans d’avoir fui sans combattre et d’avoir ainsi mis le désordre dans les rangs républicains. Voilà le témoignage du lieutenant-colonel Friederichs du 14e bataillon : « le 14e bataillon était composé, dit-il, de quatre cent soixante-neuf hommes, officiers compris ; il a été réduit à dix-sept hommes ; sur ces dix-sept, treize ont été blessés, quatre seulement ne le sont pas. L’armée arrivée à Châtillon fut laissée sans avant-postes sans patrouilles sans vedettes... Un coup de canon, dont le boulet vint frapper à mes pieds, nous avertit que, l’ennemi était là. Je fis battre la générale ; le 14e bataillon réuni au 11e soutint pendant une heure le feu de l’ennemi. Ne voyant paraître ni général, ni porteur d’ordres, accablés par le nombre, nous nous repliâmes. Le premier chef de bataillon avait été tué ; ce bataillon était réduit à une centaine d’hommes ; nous battîmes en retraite et nous fûmes forcés d’abandonner nos canons. C’est ce bataillon qui a péri à peu près tout entier, que Westermann a accusé ! Ce sont nos camarades morts pour la patrie qu’il outrage ! Il dit que le 14e bataillon a, dans sa fuite, entraîné une partie du 11e ; cette inculpation est absurde et atroce. Le 11e était en avant de nous, et c’est en nous portant en avant que nous l’ayons rejoint. Ce 11e bataillon qui s’est battu, saura nous rendre justice et démentira Westermann. Tous les officiers étaient à leur poste, et presque tous ont été tués. Westermann sait que lorsque lui-même fuyait, le 14e bataillon se battait à outrance, il sait que ce bataillon a péri. Il a voulu rejeter son crime sur un mort. »
Le témoignage d’un autre canonnier de la Légion du Nord semble moins favorable à la combativité de ces bataillons d’Orléans (in Chassin, La Vendée Patriote, tome II). Jean Pernot dit Monte-au-Ciel, maréchal des logis d’artillerie de la Légion du Nord explique : « Il y eut un combat au Moulin-aux-Chèvres. Nous entrâmes le soir même à Châtillon. Le général fit occuper les avenues et les hauteurs. Le lendemain, à midi, nous étions attaqués. J’étais entre deux moulins à une portée et demie de fusil de Châtillon, à côté du chemin qui conduit à Mortagne. J’avais une pièce de quatre et neuf artilleurs. Sur ma gauche, à environ trente pas, il y avait une pièce de huit. Un bataillon de la formation d’Orléans était à environ 250 pas. Ce fut là que l’ennemi attaqua. Il venait en troupe et fit un feu de file mal nourri. Le bataillon tira tout au plus 50 à 60 coups et se replia sur ma droite. Il en resta tout au plus 15 à 16 hommes à côté de moi, que je retins pour soutenir ma pièce ; le reste se dispersa. »
Tous les témoins, même royalistes, attestent que les vainqueurs ne firent d’abord aucun prisonnier. Les paysans voulaient se venger des incendies des châteaux de leurs chefs et du bourg d’Amaillou, imitant les soldats de Westermann qui ne firent que peu de prisonniers dans leur offensive vers Châtillon. Cependant le témoignage du maréchal-des-logis Pernot dont on a parlé plus tôt est instructif et montre sans doute que la fureur des Vendéens ne dura pas : il raconte qu’il fut blessé dans la débâcle, fait prisonnier, recueilli généreusement par les vainqueurs et que le général Marigny en personne lui demanda de faire l’instruction aux artilleurs vendéens ; ce qu’il fit jusqu’à son évasion devant Luçon en août.
Le conseil supérieur de l’armée catholique et royale, ayant réintégré Châtillon, fit répandre le lendemain une proclamation annonçant : « l’impétuosité de nos soldats a vaincu les obstacles. Ils se sont portés sur l’ennemi par différents endroits, ont rompu ses rangs, dispersé ses forces, tué trois cents soldats et contraint le reste à chercher son salut dans la fuite. C’est alors que ceux qui, coupés par l’ennemi, n’avaient pu se réunir à nous, se sont ralliés subitement, ils ont suivi avec chaleur et célérité l’ennemi dans sa fuite. Six cents Républicains ont péri sur le chemin de Rorthays ; trois cents vers le Pin, grand nombre d’autres au milieu des champs, des bois et des prairies ; le total se monte à plus de deux mille hommes. La cavalerie ennemie coupée dans sa retraite, à Amaillou que le féroce Westermann avait incendié, a été en partie prise, en partie taillée en pièces. Le nombre des prisonniers se monte à plus de trois mille. […] L’armée républicaine a perdu tant dans le combat que dans la retraite quatorze pièces de canon, toute son artillerie, un plus grand nombre de caissons, trois forges de campagne, toutes ses provisions de bouche, toutes ses munitions de guerre ; en un mot jamais victoire ne fut plus belle, jamais déroute plus complète ; et nous pouvons assurer sans crainte que de cette armée qui paraissait d’abord si formidable, cent hommes à peine se sont sauvés. » Exagération sans aucun doute, mais il semble bien que Westermann perdît tous ses canons ainsi que ceux qu’il avait pris aux Vendéens deux jours auparavant.
Le Convention, instruite de cette défaite, appela le 10 juillet Westermann à s’expliquer à Paris. Il ne reviendra en Vendée que début septembre, blanchi de toute accusation, « attendu que la conduite de ce général, à Châtillon, dans la journée du 5 juillet, est digne des plus grands éloges » (jugement rendu le 4 septembre par la Convention).
Par cette victoire royaliste, le Poitou insurgé était libéré provisoirement de toute menace républicaine. Ce n’était pas le cas de l’Anjou…
À suivre...