par MANÉ Diégo sur 03 Déc 2025, 15:19
« Dame de Sibérie »
Notes de lecture par Diégo Mané (03/12/2025)
Inattendue lecture de hasard d’un article dans un vieil « HISTORIA » de ma jeunesse (n° 211 de juin 1964), intitulé « Dame de Sibérie », par Micheline Dupuy, passé inaperçu à l’époque, a cette fois attiré mon attention car formant une sorte d’épilogue au message déposé sur Planète Napoléon relativement à la « Révolte des Décembristes » en 1825.
C’est en même temps une belle histoire d’amour entre une jeune modiste française de 25 ans, Pauline Guèble, et son amant, Ivan Alexandrowitch Annenkov, un « merveilleux jeune homme blond aux yeux verts », alors lieutenant aux Chevaliers-gardes (et donc aussi prestige de l’uniforme kilébo), compromis dans le complot des Décembristes, et subséquemment déporté en Sibérie.
Le beau jeune homme était de haute noblesse et sa mère, Anna Ivanovna, immensément riche*, désapprouva et le « manquement au Tzar » d’Ivan, et sa relation amoureuse avec une roturière, étrangère de surcroît. Elle refusa d’abord son aide à Pauline, mais finira par prendre en charge sa fille, Olga Ivanovna, née de sa relation avec son fils, et qui écrivit l’incroyable périple de sa mère pour rejoindre son amant en Sibérie, presque en Chine.
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*Tyrannique avec son nombreux personnel, je ne résiste pas à mentionner quelques faits qui ne s’inventent pas.
Ayant chaque matin du mal à choisir parmi ses 5000 robes, six jeunes filles de sa taille en revêtaient les nominées du jour afin de les réchauffer avant qu’elle endosse la choisie.
Une grosse allemande était préposée au réchauffement des sièges d’Anna Ivanovna.
Toutes les nuits durant, quarante jeunes filles devaient bavarder entre-elles à mi-voix, afin de fournir le fond sonore sans lequel Anna Ivanovna ne pouvait trouver le sommeil.
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Bon, la vie de forçat en Sibérie, je ne vous raconte pas. Celle vécue par les « Dames de Sibérie » (titre du roman de Henri Troyat) est en revanche originale. Elles furent trois françaises à rejoindre leurs compagnons au bagne. Outre Pauline s’y trouva la princesse Troubetzkoï, fille d’un émigré français, le comte de Laval, et Camille le Dentu, fiancée du comte Ivachev. Toutes durent renoncer à leurs droits, biens et titres, et furent dûment informées que leurs enfants nés en exil « entreraient au nombre des paysans de la couronne ».
Après deux ans de démarches et de suppliques Pauline fut autorisée par le Tzar à vivre au bagne, à condition de « régulariser » la situation du couple par le mariage, pour lequel on ôta ses fers au condamné, avant de les lui remettre après la cérémonie. C’était le 4 avril 1828, et le lendemain on accorda au jeune couple, en guise de lune de miel, deux heures d’intimité.
Pauline, « trouvant que les chaines d’Ivan étaient trop lourdes et trop courtes, elle en commanda d’autres sur mesure plus légères et plus longues », avant de convaincre les gardiens avec quelques roubles afin d’opérer la substitution. « Elle cacha chez elle les chaines de l’administration et les restitua au gouvernement en 1829, lorsque les prisonniers devinrent des exilés libres ».
Les trente ans d’exil se déroulèrent d’abord à Tchita (on pense à Tarzan), où Pauline mit au monde une fille, puis, à partir de 1830, à Pétrovsk, où les femmes avaient l’autorisation de partager tous les soirs la cellule de leurs maris (on verra le résultat en matière de descendance). En 1838 le ménage Annenkov est envoyé dans un village à 130 verstes d’Irkoutsk. En 1848 il s’installe à Tobolsk où Ivan est autorisé à remplir une fonction administrative, avant d’être enfin gracié en 1856 par le successeur de Nicolas Premier, Alexandre II.
Le couple quitte alors Tobolsk avec six enfants (sur les neuf mis au monde en exil par Pauline) et s’installe à Nijni-Novgorod où Ivan, nommé chef de la noblesse du district, se voit restituer honneurs et biens. C’est aussi là qu’il recevra en 1858 Alexandre Dumas, venu rencontrer les véritables héros de son roman le « Maître d’Armes ».
Le roman des Annenkov prit fin avec la mort subite en 1879 de Pauline, devenue depuis son mariage Praskovia Egorovna Annenkova. Ivan Alexandrowitch ne put survivre que deux ans à celle qui fut si longtemps sa merveilleuse compagne et si courageuse « Dame de Sibérie ».
Diégo Mané
"Veritas Vincit"