par MANÉ Diégo sur 20 Oct 2013, 22:07
BULLETIN DE LA GRANDE ARMEE
(Extrait du Moniteur du samedi 30 0ctobre 1813.)
S. M. l'Impératrice-Reine et Régente a reçu les nouvelles suivantes sur la situation de l'armée les 16, 17 et 18 Octobre :
JOURNÉE DU 18 OCTOBRE
Cette lutte opiniâtre aurait pu se poursuivre le 18 si, d'une manière encore inexpliquée, l'ennemi n'avait percé devant Portitz de nuit et sans combattre.
Son imposante cavalerie put ainsi passer dès l'aube au Sud de la Partha et menacer toute la ligne du Prince de la Moskowa.
Le corps de Reynier qui arrivait à Taucha fut lui même attaqué et manqua être coupé. Il ne rejoignit qu'in-extrêmis tandis que l'ennemi nous coupait la route de Torgau et noyait la plaine de Sommerfeld de ses Cosaques.
Anticipant cette situation l'Empereur avait déjà fait remonter ses réserves et se préparait à profiter de la nouvelle situation. Il donna l'ordre au Prince de la Moskowa de replier ses troupes sur la ligne Naundorf-Paunsdorf-Melckau. Ainsi, si l'ennemi le suivait il présenterait le flanc à nos réserves qui se rassemblaient sur les hauteurs de Baatsdorf.
Le 18 au matin, alors que l'on distinguait au loin au nord de la Partha les masses de l'Armée du Nord, nouveau renfort de 60.000 hommes amené par le Prince de Suède, l'Empereur préparait sa manoeuvre contre Sacken et Langeron qui pressaient fortement le Duc de Raguse lorsqu'on vint lui annoncer l'arrivée à Klein-Possnau de 40.000 ennemis de plus venant de l'Est.
C'était l'Armée de Pologne de Bennigsen, le vaincu de Friedland, qui venait chercher sa revanche. Pour sa malchance ce général, que l'Empereur attendait plus au Sud vis-à-vis les positions du Duc de Castiglione qui l'auraient fixé, arriva impromtu au milieu de l'arc de cercle formé par la Réserve d'Artillerie, toujours flanquée des deux corps de Jeune Garde et des Ier, IVe et Ve CC.
Aussitôt accouru de sa personne pour mesurer le nouveau danger, l'Empereur parcourut les hauteurs de Baatsdorf avec Drouot, et les Ducs de Trévise et de Reggio dont les jeunes troupes, entre deux salves de "Vive l'Empereur", réclamaient à cor et à cris d'aller à l'ennemi qu'ils promettaient de vaincre.
La cavalerie et l'infanterie de Vieille Garde étaient déjà en route vers le Nord où leur présence était nécessaire pour en imposer au flot grossissant des ennemis et l'empêcher de déborder le Maréchal Ney. Il était par ailleurs impossible de laisser Bennigsen libre d'aller tendre la main à Bernadotte.
En effet, dès le matin l'Empereur avait pris une terrible décision que l'arrivée de Bennigsen plus au Nord que prévu avait rendue plus grave encore.
Sa ligne d'opération, contrairement à ce que pensait Schwarzenberg, était sur l'Elbe et non sur le Rhin.
Craignant de ne pouvoir assurer les deux il avait sacrifié la seconde et ordonné au général Margaron de faire sauter les ponts de Lindenau et d'amener ses forces à Schönfeld au secours du Duc de Raguse.
Ayant, tel Cortès, "brûlé ses vaisseaux", l'Empereur était condamné au succès.
Il lui fallait tout au moins dégager la ligne de retraite éventuelle sur l'Elbe.
C'est cette considération vitale qui scella le sort de Bennigsen.
La décision de l'Empereur fut donc immédiate. Il donna l'ordre d'attaque aux troupes de réserves restantes. Elles durent s'engager dans la même formation qui avait si bien réussi le 16. Mais le temps pressait et, en quittant Drouot, l'Empereur lui donna deux heures, désengagement compris, pour mettre Bennigsen hors de cause et remonter vers Sommerfeld s'opposer au Prince de Suède.
Cet ordre fut rempli point par point dans le délai imparti. En deux heures, de dix heures à midi, les 40.000 combattants de cette armée, composée de troupes fraîches, se transformèrent en 13.000 morts et blessés et 25.000 prisonniers. Seuls 2.000 hommes, pour la plupart des Cosaques, s'enfuirent.
On put vraiment dire : "Napoléon siffla et l'Armée de Pologne n'exista plus !"
Rarement un combat de cette importance obtint un résultat si grand en si peu de temps. Il est dû à une parfaite combinaison des trois armes favorisée par la formation ordonnée par l'Empereur et à l'enthousiasme montré par tous, artilleurs, fantassins et cavaliers que ce nouvel effort avait transcendés.
Malgré tout, si réduit soit-il en regard du résultat, le temps consacré à éliminer Bennigsen avait permis le déploiement de l'Armée du Nord. Fort heureusement, la présence de la Garde à Pied entre Zweinaundorf et la hauteur de Baatsdorf, l'approche de la cavalerie de Nansouty et la fureur des décharges d'artillerie vers Klein-Possnau avaient dissuadé le Prince de Suède de s'engager contre le Prince de la Moskowa déjà accablé par Blücher.
Pour le Maréchal Ney comme pour toute l'armée, la crise était passée.
Le général Margaron arrivait de Lindenau juste à temps pour reprendre Schönfeld à Langeron tandis que le général Friederichs qui résistait sur les hauteurs repoussait une furieuse attaque d'infanterie et que les cavaliers lourds de Latour-Maubourg et Kellermann arrivaient à la rescousse ayant laissé les légers à la poursuite de Bennigsen.
Remontant de Melckau et Paunsdorf les divisions de Reynier menacèrent alors le flanc de Sacken sur la route de Taucha tandis que Mortier s'emparait du bois au sud de ladite route, préparant l'irruption de Nansouty entre ces deux points dans le flanc des Suédois que la Garde à pied, venant d'Engelsdorf, devait attaquer de face. L'artillerie de Drouot établie à l'Ouest de Sommerfeld que tenait un bataillon de la Garde était à même de soutenir les deux attaques.
Le corps du Duc de Reggio qui devait fixer l'ennemi entre Sommerfeld et Bersdorf était en retard. Une de ses divisions était encore empêtrée des prisonniers faits à Bennigsen qu'elle remettait à Augereau avant de remonter.
L'autre division, arrivée seule sur sa position et forte d'à peine 4.000 hommes se trouva en présence des 32.000 hommes de Bülow ayant plus de cent pièces en batterie.
Oudinot resta prudemment en retrait mais prit l'initiative de lancer un de ses régiments sur Bersdorf pour s'assurer de la route de Wurzen, retraite possible depuis l'explosion du pont de Lindenau. Un bataillon s'étendit même vis-à-vis Pannitzsch et engagea un combat de tirailleurs par dessus les flots.
Rien d'ailleurs n'obligeait à la retraite, l'ennemi ayant été battu partout. Bülow n'avait plus de raison d'aller tendre la main à une armée qui avait cessé d'exister. Cette circonstance le sauva car l'Empereur, faute de pouvoir le fixer avec les faibles moyens d'Oudinot, avait formé le projet de le laisser s'avancer pour mieux le détruire en amenant en pivot l'Artillerie de Drouot entre Sommerfeld et Engelsdorf une fois soutenue l'attaque de la Garde.
La préparation d'artillerie avait déjà forcé au repli trois lignes successives de l'ennemi sur les six qu'il avait déployées au Nord de Sommerfeld. Comme dit plus haut les points d'appui nécessaires étaient entre nos mains, les colonnes de la Garde s'ébranlaient déjà aux cris mille fois répétés de "Vive l'Empereur". C'était comme si chaque soldat avait un compte personnel à règler avec Bernadotte. Avec de tels hommes il n'est rien d'impossible.
La victoire était donc en marche quand, pour la troisième fois en trois jours,
cette fois deux heures avant la nuit, un orage d'une violence extrême sépara les combattants. Pour Sacken et Langeron, brutalement contre-attaqués par Marmont, Margaron, Latour-Maubourg et Kellermann, et prêts à succomber dos à la Partha, ce fut une véritable délivrance... et pour le Prince de Suède l'occasion de préserver ses troupes d'un désastre aussi certain qu'inutile.
Ainsi se termina la bataille au nord car le lendemain trouva l'ennemi tout entier repassé sur l'autre rive de la Partha et peu enclin à reprendre le combat.
Leipzig était restée inviolée, gardée par le Comte Bertrand.
Sur le front du Duc de Castiglione nous n'eûmes qu'une échauffourée qui n'aurait pas mérité de mention si ce n'est qu'elle fut cause de la mort du Comte Pajol, officier de la plus grande distinction sur lequel l'Empereur fondait de vives espérances. Il est impossible de peindre les regrets que l'Armée en général et ses cavaliers en particulier ont donnés à ce héros.
Sur le front sud, le Duc de Tarente remplit sa mission défensive à merveille, infligeant à l'ennemi revers après revers et finissant même par reprendre l'offensive. La journée vit la destruction de ce qui restait des corps de Kleist et Klenau et des Gardes à Cheval Russes.
L'infanterie de la Garde russe, encore redoutable, s'avança sur l'infanterie du Comte Lauriston qui démasqua à petite portée une batterie de 48 pièces de 12 £ que le Duc de Tarente avait constituée des batteries de réserve des corps sous ses ordres.
Le carnage fut épouvantable. Ne pouvant plus avancer et refusant de reculer, les Russes tombaient comme des pans de mur. Ils finirent cependant par replier leurs débris que sauva la pénurie relative de cavalerie sur ce point.
Le long de la Pleisse, à un contre six, le Prince Poniatowski poursuivit la journée durant son épique combat. Le Duc de Tarente, dont la situation n'inspirait plus de craintes lui envoya des renforts des trois armes.
Ils ne purent toutefois empêcher les Grenadiers de Hessen-Homburg de franchir la Pleisse entre Markleeberg et Dölitz et de mettre en batterie 72 pièces de 12 £ qui se préparaient à mitrailler nos braves.
La situation était critique, d'autant qu'une autre colonne autrichienne de 15.000 hommes était parvenue à passer entre Leipzig et Connewitz.
C'est vers 1 heure et demie du soir, en pleine crise, que parvint au prince Poniatowski un message de l'Empereur envoyé de Baatsdorf à midi et libellé en ces termes : "Prince, je vous nomme Maréchal de l'Empire. Faites savoir à vos hommes qu'à travers leur chef j'honore les braves soldats Polonais que vous avez constamment menés sur le chemin de la victoire !"
De suite la nouvelle court les rangs polonais comme une trainée de poudre et aussitôt tous ces braves se lancent à l'assaut, littéralement "comme un seul homme". A peine remis de leurs efforts et pas encore de leur surprise, Autrichiens et Hongrois sont culbutés dans la Pleisse et laissent en notre pouvoir les 72 pièces qu'ils avaient eu tant de mal à extirper des marais.
Cet incident termine la relation des faits les plus marquants que l'on peut distinguer au milieu de l'océan de bravoure qui a déferlé trois jours durant sur les champs de Leipzig.
Cette bataille, assurément la plus considérable des temps modernes par le nombre des combattants est aussi remarquable par ses résultats qui sont immenses. Sous cet aspect elle sera mise au-dessus de nos victoires d'Austerlitz, de Wagram et de La Moskowa. Qu'on en juge !
De l'Armée de Bohême, les corps de Wittgenstein, Kleist et Klenau sont détruits, les Réserves de Hessen-Homburg sont hors d'état de nuire et les autres corps sont tous terriblement abîmés...
L'Armée de Pologne n'existe plus...
De l'Armée de Silésie, les corps de Sacken et Langeron sont hors de combat.
Il ne reste donc à Blücher que le corps de Yorck en état.
Le Prince de Suède a pu quant'à lui éviter la punition grâce à sa prudence.
L'ennemi a perdu, tués, blessés ou prisonniers, 160.000 hommes sur les 360.000 qu'il nous a opposés. Il lui reste 200.000 hommes coupés en trois tronçons nettement séparés et incapables de se rejoindre.
L'Empereur est désormais en mesure, grâce à sa prévoyance qui nous a conservé la ligne de l'Elbe, de tendre la main au Maréchal Saint-Cyr à Dresde et au Prince d'Eckmühl à Hambourg et, tout à la fois, d'anéantir les dernières forces de campagne ennemies, et d'aller à Berlin dicter la paix.
Ces résultats immenses sont le produit des dispositions de l'Empereur et du courage de nos jeunes soldats. 32.000 de ces braves enfants ont payé de leur sang leur place dans l'Histoire du Monde. On se souviendra à jamais du nom de Leipzig où la jeunesse de France a su vaincre l'élite des armées de l'Europe entière, brisant définitivement le complôt anglais contre les libertés.
Si l'infanterie a fait des prodiges de valeur et l'artillerie s'est prodiguée partout, les plus grands sacrifices ont été consentis par notre cavalerie qui, partout présente, semblait jouir du don d'ubiquité.
Elle ne compta pas ses ennemis et ne consulta pas sa fatigue.
La moitié seulement de ces braves subsistait après l'épreuve.
Les chefs ont donné l'exemple et payé de leur personne. Hélas le brave Pajol n'est pas le seul à être tombé. Au Ier CC, le plus éprouvé mais aussi le plus glorieux, le Général de La Tour-Maubourg et ses quatre divisionnaires furent tous blessés.
Comme au soir de la Moskowa, on vit bien des divisions commandées par des brigadiers ou même des colonels mais tous arboraient le sourire de la victoire qu'ils partageaient avec leurs hommes, conscrits comme vétérans.
L'armée entière, de l'Empereur jusqu'au dernier tambour, se réjouissait de sa victoire, sentant bien que son ampleur nous amènera immanquablement la paix durable auxquels tous aspirent.
Autriche, Prusse et Russie réunies n'ont pu venir à bout de la Grande Armée et ont subi un revers si considérable que ses conséquences, encore incalculables tant elles seront immenses, bouleverseront pour jamais le destin du Monde.
C'est donc le coeur à juste tître rempli d'orgueil que nos jeunes soldats pourront bientôt retrouver le sol de la patrie, cette terre généreuse qui, le Monde s'en souviendra encore dans un millénaire, aura enfanté en vingt ans deux générations de héros : les Soldats de l'An II et les Conscrits de 1813 !
Signé, Napoléon